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quelques morceaux de biscuit, se fait à volonté un potage réparateur dont il ne se dégoûte jamais. On comprend les avantages du café dans les haltes, les tranchées, partout où le soldat n’a pas le temps de faire sa soupe. Cette liqueur, qui le délasse et l’égaie, ne l’empêche pas de dormir, après une journée de fatigues au grand air. Au point de vue administratif, le café est de transport et de conservation faciles. On le livrait d’abord en poudre ; mais il perdait ainsi ses principes volatils aromatiques ; on l’a distribué ensuite en grains torréfiés, et on donnait aux troupes de Crimée de petits moulins cylindriques pour le moudre. La noix de ces moulins finit par s’user, et le soldat s’ingénia à trouver des moyens dont quelques-uns avaient plus d’originalité et même un côté moins prosaïque. J’ai vu dans les camps écraser le café avec un boulet promené dans une moitié de bombe. — les Anglais remplacent le café par le thé ; leurs troupes en prenaient deux fois le jour, le matin et le soir, aromatisé avec du rhum. Quelques morceaux de pain trempés dans ce grog constituent un aliment tonique et bienfaisant. Ainsi se retrouvaient au bivouac les usages séculaires des familles britanniques.

En résumé, la nourriture du soldat français n’a pas manqué un seul jour. Les distributions ont été aussi régulières que dans une ville de garnison, aussi variées qu’elles pouvaient l’être dans un pays sans ressources, et placé à huit cents lieues de la France, qui devait tout envoyer. Je voudrais cependant présenter de courtes observations sur les améliorations qui me paraissent possibles dans le régime alimentaire du soldat. Sans sortir des étroites limites de la solde budgétaire, on pourrait, je crois, diminuer le chiffre des maladies et par conséquent les frais d’hôpitaux, en instituant un troisième repas, en variant l’alimentation, en la rendant plus abondante. Les soldats font deux repas, l’un à dix heures du matin, l’autre à quatre heures de l’après-midi. Dix-huit heures séparent le repas du soir de celui du matin. Un homme fait, occupé d’un travail intellectuel, peut bien ne se nourrir que deux fois dans un jour ; mais le jeune soldat, qui n’est pas encore arrivé au terme de son développement physique et qui est exposé à faire une grande dépense de forces corporelles, doit manger plus souvent. Avant de servir, soit qu’il fût paysan, soit qu’il fût ouvrier, il pratiquait cet adage populaire, qu’il ne faut pas travailler à jeun, et mangeait au saut du lit. Quand il entre au régiment, ce repas matinal, qu’il prend depuis son enfance et qui est pour lui un besoin, est supprimé brusquement, sans transition. Le vieux soldat, dont l’estomac est pourtant moins impérieux, a soin de manger un morceau de pain et de boire un petit verre d’eau-de-vie avant d’aller à l’exercice. Le conscrit pourrait faire comme lui ;