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vite, reprend sa fermentation, et donne un aliment plus ou moins défectueux. Peut-être devrait-on fabriquer pour les armées en campagne du pain biscuité à demi ou au quart, et peu chargé de levain ; la ration serait moins forte, mais tout aussi nutritive, et l’on éviterait en grande partie les inconvéniens du biscuit.

Le blutage du pain de munition a été porté depuis quelques années jusqu’à 20 pour 100 d’extraction de son pour les blés tendres. On pensait que moins le pain contient de son, plus il est nutritif, et que de plus, en devenant plus blanc, il pourrait remplacer le pain de soupe acheté aux boulangeries civiles et fait avec des farines blutées à raison de 40 pour 100 d’extraction. Cette innovation ne paraît pas heureuse. Le prix de revient de la ration s’est élevé sans compensation réelle. Le nouveau pain se digère trop vite, et ne trempe pas bien dans la soupe. Il n’est pas démontré que le son, dans de certaines limites, n’apporte pas des principes réparateurs assimilables. En temps de disette ou de guerre, ce n’est pas une chose indifférente que de porter l’extraction du son à un blutage aussi élevé pour une armée de 500,000 hommes. D’ailleurs nos soldats sont pour la plupart des gens de campagne et préfèrent le pain de qualité inférieure auquel ils sont habitués au pain plus blanc de nos manutentions militaires. De même les prisonniers russes, accoutumés à un pain extrêmement grossier, ne se trouvaient pas assez nourris avec le pain de nos soldats : on a dû leur donner un supplément de ration.

La meilleure viande fraîche est le bœuf. Seul, il fait une bonne soupe, et, d’après un dicton aussi vrai que vulgaire, la soupe fait le soldat. Les bœufs n’arrivaient en Crimée qu’après de longues vicissitudes et dans un tel état, qu’on eût dit les vaches maigres du roi Pharaon. Pour que la quantité suppléât à la qualité, on avait porté la ration de 250 grammes à 300 ; mais les os y entraient pour un poids énorme. Je conseillai de broyer les parties dures ayant déjà servi au pot-au-feu, de les concasser, et de les faire bouillir de nouveau pour en extraire la gélatine. Ce moyen, employé dans les hôpitaux de Constantinople, a très notablement amélioré le bouillon des malades ; on pourrait l’ordonner comme prescription réglementaire aux cuisiniers des régimens et des hôpitaux. En France, il est vrai, les os se vendent ; mais n’y aurait-il pas plus de profit à les garder ?

Quand la viande fraîche manquait, on la remplaçait par des conserves de bœuf cuit, contenues dans des boîtes de fer-blanc hermétiquement fermées. Comme la chair était désossée, la ration était réduite à 120 grammes. Ces conserves étaient d’excellente qualité ; mais le soldat n’aime pas à changer d’habitude : il apprécie le poids et le volume plus que la qualité. Quoique ces 120 grammes le nourrissent