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villa Cadolce, pendant la nuit de Noël où le jeune Lorenzo fut accueilli avec tant de grâce par la fille du sénateur Zeno. Aux sons de la guitare et de ces trois voix harmonieuses qui s’élevèrent tout à coup au-dessus du bruit général, le bal fut comme suspendu, et tout le monde s’approcha du groupe qui entourait les mages. Beata, de plus en plus troublée par cette scène dont elle ne pouvait méconnaître la signification, voulut faire un effort pour échapper à ce spectacle douloureux, et tomba évanouie dans les bras du chevalier Grimani. On s’empressa d’ôter le masque à la gentildonna, mais, pendant que le chevalier Grimani était allé chercher du secours, les trois mages enlevèrent Beata dans leurs bras comme pour la transporter dans une pièce plus convenable à sa situation. Quand ils furent parvenus à la porte du casino qui ouvrait sur le petit canal, il y eut un effroyable tumulte et des cris douloureux dont les personnes qui étaient restées dans la salle du bal ne pouvaient s’expliquer la cause. C’est que les mages venaient d’être arrêtés et l’un d’eux presque tué sur place d’un coup de stylet. Beata, toujours évanouie, fut transportée dans le cabinet de repos qui touchait au salon du banquet. Là, étendue sur un canapé, entourée de son père, de son fiancé et de ses amis, elle reprit lentement ses sens. Fatiguée de l’horrible secousse qu’elle venait d’éprouver, Beata, ayant auprès d’elle sa camériste Teresa, qu’on avait envoyé chercher, pria qu’on la laissât seule un instant, et tout le monde se retira.

Que s’était-il donc passé dans la salle du bal depuis l’apparition des trois mages ? Beata, l’ignorait complètement. Elle interrogea Teresa pour savoir si elle avait entendu parler de Lorenzo, et la camériste ne put rien lui apprendre de précis. Un bruit vague s’était seulement répandu dans le casino qu’on avait fait des arrestations et qu’un nommé Zorzi avait été tué d’un coup de stylet par un sbire. Le nom de Zorzi était bien connu de la signora, mais elle ne soupçonnait pas les relations qui s’étaient établies entre ce’ personnage politique et le chevalier Sarti. Cependant l’épisode de la place Saint-Marc, celui de la table de jeu, la scène du bal et les pressentimens de son propre cœur lui faisaient craindre que Lorenzo ne se trouvât impliqué dans quelque complot sinistre dont elle ne s’expliquait pas la nature. Aurait-il voulu l’enlever pour empêcher l’odieux mariage qui allait briser toutes ses espérances ? Cela était d’autant plus probable, qu’à la dernière entrevue qu’il avait eue avec Beata sur le balcon de son palais, Lorenzo avait osé lui conseiller de quitter son père et sa patrie et de s’enfuir avec lui sur la terre étrangère. Cette idée avilissante, qu’elle n’aurait pas pardonnée à tout autre, émanée de la bouche du chevalier Sarti, lui devenait presque un titre de plus à l’affection profonde de cette admirable créature. Pour