Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regards ? Telle était la question que s’adressait Beata, se souvenant des paroles de Lorenzo. C’est ainsi qu’avec son sens si droit, plus apte à bien juger les choses et les rapports de la vie qu’à s’élever dans les régions des poétiques chimères, Beata était pourtant conduite, par le sentiment, jusqu’au seuil de problèmes redoutables ; puis, retombant de ces visions célestes, mais éphémères, dans la triste réalité de sa position, elle rapportait de son ravissement le besoin d’un aliment plus solide pour son cœur affligé. Elle se prit alors d’un goût plus prononcé pour les cérémonies de l’église et les pratiques de la religion, qui n’avaient été pour elle jusqu’ici que des objets d’une pieuse et noble distraction, et lisant les livres saints, non plus à la lumière sèche de l’esprit, selon la belle expression d’un saint personnage, mais à la clarté de l’âme, Beata se sentit pénétrée peu à peu d’une force et d’une onction dont les effets lui étaient inconnus. Elle priait, chantait des hymnes, mêlait ces soupirs à la grande douleur de tous, et, remontant la chaîne des promesses sanctionnées par le divin sacrifice, elle fut étonnée de retrouver au bout de ses aspirations un monde idéal aussi beau, mieux défini et plus consolant que celui qu’elle avait entrevu dans le mirage de l’amour.

Un jour de solitude et de recueillement où Beata, pour mieux confondre sa vie intérieure avec celle de Lorenzo, parcourait d’un œil distrait le poète de l’enfer et du paradis, son attention fut arrêtée par ces trois vers qu’elle n’avait pas remarqués :

O voi ch’avete gl’intelletti sani,
Mirate la dottrina che s’asconde
Sotto’l velaroe delli versi strani[1].

« O vous qui avez l’esprit sain, admirez la doctrine qui se cache sous le voile de ces vers étranges ! »

Surprise d’abord par le sens mystérieux qui se dérobe en effet sous l’image transparente de la poésie, Beata se sentit bientôt comme éblouie par une clarté subite. Il lui semblait qu’un voile était tombé de ses yeux, et que pour la première fois elle comprenait le sens attaché aux belles créations de l’esprit humain. Beata aurait pu s’écrier alors avec un philosophe non moins sublime que le poète catholique : « Où a passé l’amour, l’intelligence n’a que faire[2] ! » Ce travail intérieur de la conscience, cette condensation, dirons-nous, des aspirations du sentiment en une croyance plus ferme et plus pratique se fit avec le calme et la mesure qui étaient les traits distinctes du caractère de Beata ; mais elle sortit de cette épreuve lente et laborieuse avec une résolution dont on verra bientôt les suites.

  1. Enfer, chant IX, terzina 21.
  2. Plotin.