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Comédie que l’inconnu ne lui avait cités évidemment que pour gagner sa confiance, il eut foi en sa bonne étoile et se glissa dans la gondole du facchino.

La gondole s’enfuit rapide comme un oiseau, en rasant les eaux silencieuses et torbide des canaux étroits. Après s’être éloignée à tire d’aile du pont des Soupirs et avoir fait un grand nombre de circuits, comme une hirondelle qui, ayant longtemps poursuivi sa proie, cherche un lieu sûr pour s’abattre, la gondole vint aborder devant une petite porte basse que couronnait un sarment de vigne. À un signal donné, la porte s’ouvrit discrètement, et tous deux, Lorenzo et son compagnon, montèrent un escalier de marbre assez mal éclairé, dont les dalles étaient usées par le temps. Ils furent introduits dans un salon de modeste apparence au milieu duquel était une grande table recouverte d’un tapis à ramages, chargée de livres et de papiers. Quelques vieux fauteuils armoriés, qui accusaient une somptuosité éclipsée et des prétentions à une origine historique, étaient rangés autour de la table. Des cartes de géographie et plusieurs portraits de personnages illustres, parmi lesquels on remarquait celui de Fra-Paolo, le célèbre historien du concile de Trente, étaient suspendus aux murs lambrissés, et complétaient l’intérieur d’un homme studieux et jadis opulent, qui avait dû subir des revers de fortune.

— Asseyez-vous là un instant, monsieur le chevalier, dit le facchino en avançant un fauteuil, et vous ne tarderez pas à vous assurer que je méritais la confiance que vous m’avez accordée en me suivant jusqu’ici.

En parlant ainsi, il souleva une portière en velours et disparut. Resté seul, Lorenzo interrogeait du regard les différens objets qui composaient l’ameublement du salon, cherchant à deviner le caractère de la personne chez laquelle il se trouvait et l’issue de l’aventure où il était engagé, lorsque la portière s’entr’ouvrant de nouveau, il vit apparaître un personnage qui lui dit avec une cordialité empressée :

— Ah ! vous voilà enfin, mon cher chevalier. Savez-vous qu’il y a au moins dix jours que je vous cherche dans tous les coins de Venise ? Vraiment, je commençais à être inquiet de vous, car nous sommes dans un temps où le canal Orfano est le meilleur instrument politique de nos illustrissimes seigneurs. Ma, pazienza, dit-il un peu plus bas en tendant la main au chevalier, qu’il pria de se rasseoir.

L’individu qui s’exprimait avec si peu de retenue contre le gouvernement de la république était ce noble vénitien nommé Zorzi, dont nous avons parlé plus haut et que Lorenzo n’avait pas revu depuis l’événement de Padoue. C’était un homme d’une soixantaine d’années, d’une figure très noble, dont l’expression annonçait une volonté ferme et une intelligence peu commune. Des lèvres minces