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ridicules, et si de hasard il arrivait à un duc et pair de les prendre au sérieux, c’était révéler le secret d’une origine bourgeoise, cela sentait son Lescalopier. L’inaptitude aux affaires et le dédain pour l’étude des plus grands intérêts étaient devenus, sous l’influence des idées régnantes, le caractère même de l’aristocratie. Nul n’a décrit d’une manière plus piquante que Saint-Simon la lassitude et le quasi désespoir que faisaient éprouver à ses collègues les séances du parlement lorsque la convenance les contraignait à s’y montrer. Il nous a conservé la bonne histoire de l’un d’entre eux, dont le suprême bonheur était de rendre les délibérations nulles en partageant également les suffrages, et c’est de ses meilleures couleurs qu’il a peint le duc de Richelieu frétillant durant trois mortelles heures, et menaçant ses voisins, si la séance se prolongeait, de toutes les conséquences d’un lavement appuyé d’une large dose de casse.

Transformer en grand pouvoir politique une institution sans attributions définies et qui ne touchait guère que la vanité de vingt familles, c’était une tentative dont l’auteur était fort exposé à supporter le contre-coup. La noblesse non titrée se souleva avec toute la furie française contre l’homme dont le travail incessant consistait à rendre plus profonde la séparation qu’elle prenait elle-même tant de soin pour faire disparaître, et Saint-Simon rencontra des ennemis non moins implacables parmi les gentilshommes que dans les rangs des magistrats. L’isolement seyait d’ailleurs à cette singulière nature qu’en toutes choses le combat préoccupait plus que la victoire.

On touchait cependant au moment où l’ami éprouvé du duc d’Orléans allait être mis en demeure d’appliquer aux intérêts de l’état cette disposition d’esprit agressive et théorique développée par l’inexpérience générale de son temps. Le prince qui, sans être un grand homme, sut être un si grand roi, venait de rendre à Dieu cette âme qui, durant cinquante ans, avait été celle de la France. Il faut suivre dans Saint-Simon les progrès de cette agonie et le jeu des innombrables intrigues nouées autour de l’auguste moribond dans l’intérêt du prince auquel appartient la régence et dans celui des bâtards, dont la tendresse paternelle s’efforce en vain de garantir l’avenir ; il faut assister avec lui à ces conciliabules qui remplissent Versailles, depuis les cabinets du roi jusqu’aux combles du palais, et où les hommes que leur chef nommera demain les roués débattent déjà le sort de la monarchie et s’en partagent moins le gouvernement que les dépouilles. Cette admirable lecture laisse une double impression singulièrement pénible. Si d’une part on découvre la fébrile impatience avec laquelle la nation, fatiguée d’une dictature semi-séculaire, s’élance vers toutes les nouveautés, de l’autre on