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d’un intendant, quand sa pensée se reporte sur ces gouverneurs de cour, étrangers aux provinces qu’ils pressurent sans jamais les visiter, lorsqu’il expose enfin ce grand système royal qui a eu pour résultats simultanés de faire de la France la plus forte et la mieux armée des nationalités ; et des Français les plus faibles et les plus mal défendus des citoyens, alors la furie lui tient lieu d’éloquence, et son style monotone emprunte quelques lueurs aux ardentes convictions qui l’inspirent.

D’où vient qu’un aussi vigoureux esprit que celui de Saint-Simon soit incapable de donner quelque consistance à ses vues politiques, et que, confondant les symboles avec les réalités, il ne touche jamais qu’aux écorces, comme il le dit lui-même si heureusement du marquis de Dangeau ? Comment se fait-il que lorsque sous la régence et dans les conditions les plus favorables qu’ait jamais souhaitées un réformateur, il fut mis en mesure d’appliquer des projets médités durant vingt-cinq ans, il n’ait pu répondre à la confiance de son royal ami qu’en lui proposant des tentatives extravagantes ? D’où vient enfin qu’il n’y eût d’égale à l’ambition de Saint-Simon que son incapacité pour gouverner ? La chose vaut la peine d’être examinée.


III

Le trait saillant de cette physionomie originale, c’est que chez Saint-Simon les idées étaient presque toujours en désaccord avec les tendances. Par celles-ci, il était d’ordinaire de l’opposition et touchait presque à l’esprit factieux ; par celles-là, il appartenait à l’école qui voyait dans la royauté la source unique des pouvoirs et des droits, et se trouvait ainsi conduit à envisager comme criminelles toutes les tentatives antérieures que son caractère l’aurait cependant porté à seconder. Fils d’un père qui avait puisé dans sa reconnaissance pour son bienfaiteur le culte de la monarchie, Saint-Simon avait été conduit par ses traditions domestiques à répudier tous les souvenirs de la fronde ; il ne parle jamais qu’avec la plus grande haine des temps de la ligue en les enveloppant dans une commune réprobation, et ne rappelle les résistances opposées en d’autres siècles aux progrès de la puissance royale que pour les condamner autant que Boulainvilliers les honore. À ses yeux, les états-généraux ont été des instrumens aussi dangereux qu’inefficaces ; il leur dénie nettement d’ailleurs toute puissance législative et ne leur réserve, selon les théories historiques qui prévalaient de son temps, qu’un simple droit de conseil et de remontrance subordonné à la volonté royale. Pour les parlemens, ils ne sont pas seulement des corps factieux, ils sont encore et avant tout d’insolens usurpateurs. Nul n’a pris plus de