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d’esprit de Mme de Sévigné, alimentées chaque jour par des chefs-d’œuvre ; ce ne sont plus ses héroïques admirations pour Corneille, ses charmans paradoxes contre Racine, ses hardis commentaires sur saint Augustin, ses transports de bonheur ou de colère à chaque livre nouveau qu’elle parcourt avant de le transmettre en Provence. Ouvrez le journal de M. de Dangeau, et vous verrez que, tout membre de l’Académie française qu’il est, il ne s’inquiète guère plus des œuvres que de la personne de ses collègues : deux ou trois fois il constate la présence de Racine chez Mme de Maintenon et chez Mme la duchesse de Bourgogne, afin d’y lire des fragmens de cette histoire de Louis XIV dont la postérité n’a pas même déploré la perte ; il annonce la mort de La Fontaine, connu par ses fables, du ton dont le Moniteur a pu de nos jours annoncer la mort de M. Bouilly ; il parle enfin de quelques sermons prêches en présence du roi par le père Bourdaloue et par Massillon, prêtre de l’Oratoire, mais en s’y arrêtant bien moins longtemps que sur les ordonnances de Fagon et les opérations chirurgicales de Maréchal.

Saint-Simon, de son côté, ne s’inquiète d’aucune œuvre littéraire en dehors de celles qui sont de nature à modifier la situation des partis religieux à la cour ; il paraît à peine à Paris, où d’ailleurs la pensée n’a plus ni stimulant ni grands centres depuis que le roi a logé tout son gouvernement dans son palais, il ne va jamais au théâtre, si ce n’est au spectacle du château, et prononce rarement le nom des grands hommes encore vivans qui remplissent l’Europe du bruit de leur renommée. Les luttes de M. de Meaux contre M. de Cambrai, du cardinal de Noailles contre les jésuites, le touchent singulièrement, il est vrai ; mais ce qui saisit son esprit, ce qui en entretient la bouillante ardeur, ce n’est ni la Gnose de l’abbé de Fénelon, ni les problèmes du probabilisme, ni la valeur théologique des raisons données par les jansénistes ou par leurs adversaires : ce qu’il voit dans le quiétisme, c’est la situation compromise de MM. de Beauvilliers et de Chevreuse, ses nobles amis. S’il est janséniste, c’est qu’il est mécontent, et que le jansénisme tend à devenir de plus en plus, à l’insu même de ses sectateurs, une doctrine et un instrument d’opposition ; il y verse par une pente plus sociale que théologique, fort peu soucieux d’en défendre les dogmes et d’en approfondir les mystères, à ce point qu’à juger par le ton général de ses écrits, il n’est guère plus instruit en ces matières que le roi Louis XIV, dont il gourmande si amèrement l’ignorance.

Le principal élément de succès porté par Saint-Simon à la cour fut une assiduité que ne découragèrent pas les froideurs les plus marquées. La haute considération assurée, à la maison de Durfort, dans laquelle il était entré, le tact exquis et l’esprit de conduite de