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se refuser à l’évidence ? C’était bien la peine d’avoir trente ans sonnés, pour tomber dans des pièges auxquels les écoliers ne se prenaient plus ! « Paris me guérira ! » dit-il, et il se leva brusquement.

Au même moment, il aperçut Mme Rose qui montait la côte ; il courut au-devant d’elle : — Ah ! qu’il me tardait de vous revoir ! » dit-il.— Craintes, soupçons, colères, tout avait disparu comme par enchantement ; il ne pensait plus qu’au bonheur de voir Mme Rose et de lui parler. Elle lui prit le bras et le pressa silencieusement contre le sien. Elle avait dans la physionomie quelque chose de grave et de recueilli qu’il ne lui connaissait pas. Elle regarda la campagne, où les premières chaleurs du printemps avaient semé les parfums de la violette.

— Si vous n’êtes pas fatigué, nous nous promènerons un peu, dit-elle, j’ai besoin d’air.

Ils prirent par un sentier qui descendait vers la rivière. Mme Rose paraissait absorbée par une pensée intérieure.

— Ne pourriez-vous pas me dire ce qui vous préoccupe ? demanda Georges timidement. Si vous avez un chagrin, ne puis-je en prendre la moitié ?

Mme Rose secoua la tête.

— Non, dit-elle, c’est une lettre qui a causé cette tristesse, cette agitation où vous me voyez, et, si je ne l’avais pas reçue, peut-être serais-je plus triste et plus agitée encore.

Un sentiment de jalousie se glissa dans le cœur de Georges.

— Celui qui a écrit cette lettre a donc une bien large part d’influence dans votre vie ? dit-il avec amertume.

— Laissons cela, répondit Mme Rose.

Elle tourna la tête du côté de la brise qui soufflait, et l’aspira avec délices.

— Ah ! qu’il fait bon ici ! reprit-elle, et que vous êtes heureux de pouvoir y demeurer toujours !

Cet impénétrable mystère dont Mme Rose s’enveloppait, cette volonté qu’elle montrait de ne pas permettre qu’on en soulevât un seul côté, irritèrent M. de Francalin.

— Oh ! toujours, c’est incertain, reprit-il d’un ton léger. Moi aussi, j’ai reçu une lettre d’une tante que j’ai dans le département de l’Oise, à Beauvais ; elle veut me marier avec une riche héritière qui fait l’ornement de ce chef-lieu.

— Ah ! fit Mme Rose.

— Oui, ma tante, la baronne Alice-Augustine de Bois-Fleury, prétend que je ne saurais rester plus longtemps célibataire sans compromettre la dignité et l’éclat de mon nom. Il faut vous dire que cette excellente baronne, baronne je ne sais pourquoi, a pris son titre au sérieux, et assure que mon nom de Francalin dérive de franc-alleu, ce qui démontrerait tout au moins que mes ancêtres étaient les compagnons d’armes de Mérovée et de Clodion le Chevelu.