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et celle-ci lui semblait éternelle, comme il avait cru l’autre impérissable.

C’était donc au plus fort d’une de ces catastrophes périodiques qu’il venait demander à Georges de l’abriter dans sa solitude. Valentin ne venait pas pour la première fois à Maisons, et ainsi s’expliquait le sobriquet de chambre du Désespoir qu’on donnait à la pièce qui lui était réservée.

Le lendemain, au petit jour, Valentin frappa à la porte de son ami.

— Tu dors, toi ; tu es bien heureux ! Que fais-tu aujourd’hui ? Dit-il.

— Rien.

— Eh bien ! si tu veux, nous irons déjeuner à Saint-Germain ; c’est là que j’ai connu Clotilde ! Nous traverserons la forêt, et cette promenade matinale me rendra peut-être l’appétit que j’ai perdu.

— Soit.

Georges s’habilla en toute hâte et descendit ; mais au bas de l’escalier il se souvint que Mme Rose l’attendait chez la Thibaude. S’il voulait être exact, il n’avait pas le temps d’aller à Saint-Germain et d’en revenir ; pour rien au monde cependant, il n’aurait consenti à manquer ce rendez-vous.

— Viens-tu ? lui cria Valentin.

Tambour, qui était du voyage, appuya la sommation d’un aboiement. Georges cherchait un prétexte et n’en trouvait pas. Il savait Valentin très-curieux, et il ne se souciait pas de le mettre dans sa confidence. Quel beau thème à de longs discours ! Cependant il était résolu à ne pas le suivre jusqu’à Saint-Germain.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il après qu’il eut fait une centaine de pas, j’ai oublié que j’ai affaire de l’autre côté de l’eau…. à Herblay.

— Chez qui ? demanda Valentin.

— Chez le curé ! répondit Georges étourdiment.

— J’irai avec toi.

Georges comprit que Valentin était décidé à ne pas le quitter.

— Veux-tu pêcher ? dit-il brusquement.

— Tu pêches donc ?

— Toujours ; c’est très-amusant. On a une ligne à la main ; on pense à ce qu’on veut, et le poisson mord. C’est ce qu’il y a de mieux quand on a du chagrin.

— Donne-moi une ligne, répondit Valentin.

Georges courut dans sa bibliothèque, et redescendit avec tout un appareil de pêche. On partit pour le bord de la rivière, et Georges installa Valentin au pied d’un massif de saules qui masquait la vue de tous côtés.

— L’endroit est excellent, il fourmille de goujons,