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— Moi ? Fi donc ! Il y a six mois que je m’en suis tiré. Je n’y entendais rien. J’ai bien vu que ma vocation m’appelait dans la presse. Tu te souviens de quelle force j’étais sur la polémique au collège ; j’ai fondé un journal ; il est mort au plus fort de son succès. J’allais poursuivre ma candidature à la députation, quand la trahison que tu sais a tout brisé. Je n’ai de cœur à rien. Cependant je sens bien que je suis né pour la politique. »

Valentin des Aubiers était l’un des plus vieux amis de Georges. Ils s’étaient rencontrés au collège, et n’avaient pas cessé de se coudoyer dans la vie, au milieu de laquelle Valentin marchait un peu comme ces écoliers qui, répandus dans les bois, oublient qu’ils ont des broussailles entre les jambes et des racines sous les pieds ; chaque nouvelle chute lui semblait la première ; il s’écriait avec candeur que ces choses-là n’arrivaient qu’à lui. C’étaient alors de grands découragements qui duraient six jours ou six semaines, après quoi il n’y pensait plus, et repartait d’un pied léger avec la même espérance et la même sécurité. Le prochain accident amenait une nouvelle surprise qui ne le guérissait pas davantage. Ses amis disaient de lui qu’à cinquante ans il en aurait vingt-cinq, et que, s’il arrivait à la centaine, il faudrait certainement le renvoyer à l’école.

Avec une fortune qui lui aurait permis de vivre à sa guise, Valentin avait bravement mis le pied dans toutes les carrières, et s’en était retiré impétueusement au premier obstacle. La dernière qu’il embrassait était toujours la meilleure et celle qui répondait le mieux à ses instincts. À peu près riche et maître de son temps, Valentin n’avait pas traversé Paris sans y faire de ces rencontres qui font ressembler la vie à des routes semées d’auberges où des cœurs de toute sorte se tiennent en embuscade, pareils à ces hôteliers fameux dont Guzman d’Alfarache raconte les prouesses. Toutes les fois que le hasard le faisait entrer dans une de ces auberges, il ne manquait pas de croire qu’il s’y reposerait jusqu’à la fin de ses jours, et il faisait ses préparatifs en conséquence. Si quelqu’un de ses amis s’aventurait à lui dire que ce petit coin du paradis, dans lequel il comptait savourer des délices toujours nouvelles, n’était qu’une méchante halte entre deux étapes, il s’indignait et prenait le ciel à témoin du serment qu’il faisait de ne plus partir ; mais le cœur volage qu’il adorait accueillait-il un autre voyageur, Valentin tombait dans un morne désespoir, et demandait naïvement au ciel comment tant de perfidie pouvait être éclairée par la lumière du soleil. Désormais il n’y avait plus pour lui ni paix ni bonheur ; la nuit se faisait dans son âme, et il parlait sérieusement de passer le reste de ses jours dans une thébaïde où jamais le pied d’une femme ne pût arriver. La même bonne foi qu’il avait apportée dans son ivresse, il l’apportait dans son affliction,