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pêcheur en branlant la tête, et cependant je n’y crois pas, à vos amoureux. Mme Rose n’a jamais reçu d’autres visites que celles que je vous ai dites, et ces sortes de fous ont des jambes pour courir. Et puis, si Mme Rose a des secrets, ce serait mal reconnaître sa bonté que de chercher à les pénétrer. À présent, monsieur Georges, vous en savez autant que moi.

— Mais comment se fait-il que je ne l’aie jamais rencontrée, moi qui cours le pays du matin au soir, et que jamais vous ne m’en ayez parlé ?

— Vous n’allez pas beaucoup du côté d’Herblay, monsieur, et c’est à Herblay que Mme Rose demeure. Quant à vous en parler, pourquoi l’aurais-je fait ? Vous êtes dans la saison où le cœur est de paille, et je ne voulais pas vous exposer à prendre feu.

Canada jeta un coup d’œil sur la rive.

— Bon ! dit-il, vous me faites bavarder, voilà l’ombre des peupliers qui coupe la rivière, il va être quatre heures ; il faut nous hâter, si vous ne voulez pas que nous fassions attendre Mme Rose.

Georges et Canada prirent chacun une paire d’avirons et firent voler la Tortue. En quelques minutes, ils furent par le travers des tirés de Saint-Germain ; un long sillage marquait la course du canot.

— Ramez toujours, dit Canada. Je vais voir si Mme Rose est sur la rive.

Il se mit debout, et aperçut Mme Rose sur un tronc d’arbre.

— Ah ! c’est vous, dit-elle en saluant Georges ; je comprends à présent pourquoi Canada arrive si tard.

Elle se leva et s’approcha du canot.

— Voyons, reprit-elle, donnez-moi la main pour que je saute dans cette coquille de noix.

Mme Rose portait ce jour-là une robe de drap bleu, un grand camail et un chapeau rond de feutre gris à larges bords ; l’animation de la marche et le grand air avaient coloré son teint : les boucles de ses cheveux tombaient le long de ses joues et sur son cou. Elle était charmante.

— Vous êtes donc venu me voir ? reprit-elle en caressant de la main Tambour, qui frottait familièrement sa tête contre la jupe de drap bleu.

— Je vous dois bien cela pour le déjeuner que vous m’avez donné, répondit Georges gaiement.

— Il était un peu maigre pour un homme qui sort de l’eau ; aussi ne me prendrez-vous plus au dépourvu, et, s’il vous plaît encore de sauter dans la rivière, au moins trouverez-vous des côtelettes.

— Prenez le gouvernail, dit Canada à M. de Francalin ; moi je ramerai.