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Vous leur direz de prier pour moi. » Ça, c’était de trop. Comme si Mme Rose avait besoin qu’on priât pour elle.

Georges regarda Canada. Cette chaleur et cette conviction de la part d’un homme qui avait un peu les mœurs d’un bohémien de rivière l’étonnaient beaucoup ; mais le pêcheur, accroupi au bord du canot, n’y prenait pas garde, et contemplait la surface de l’eau, au-dessus de laquelle venaient crever de petits globules.

— Je vous dis qu’il y a des barbillons par là !… Chut à présent ! murmura le pêcheur.

Il amorça la rivière en y jetant deux ou trois poignées de grains, et apprêta silencieusement son filet. Quand il crut le moment convenable, il jeta l’épervier, et découvrit, au premier effort qu’il fit pour le ramener, deux ou trois poissons qui se débattaient entre les mailles.

— Hein ! sont-ils beaux ! Dit-il.

— Çà, vous l’aimez donc bien ? dit Georges en aidant Canada à retirer l’épervier.

Mme Rose ? Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas l’aimer !… Est-ce qu’on ne s’est pas avisé de me chercher chicane pour quatre mauvais lapins que j’avais pris au collet dans les bois du gouvernement ? On disait aussi que je pêchais en dehors des règlements. Et les lois, où étaient-elles dans ce moment-là ? On en avait démoli la moitié, et le reste ne valait guère mieux. Et les autorités d’alors, avaient-elles consulté les règlements pour entrer aux Tuileries ? Je m’entête et je jette le papier timbré au nez des gendarmes, après quoi je vais sur l’eau tendre mes lignes de fond. Tout ça me conduisit en prison. Il n’y avait pas trente sous au logis, et ma pauvre femme avait la fièvre…. Quand j’y pensais la nuit, j’avais des sueurs dans le dos. Enfin je sors au bout d’un mois. « Bien sûr, me disais-je tout en marchant, je vais trouver la baraque toute pleine d’huissiers, et sans un clou pour pendre mes filets. » Ah ! bien oui, on n’avait pas dérangé une chaise, et ma pauvre vieille raccommodait mes chemises sur la porte ! C’était Mme Rose qui avait payé l’amende et pris soin de tout…. Quand je vis ça, je courus tout droit chez elle. Mme Rose était dans son jardin avec un grand chapeau de paille sur la tête. J’avais arrangé un beau discours pour la remercier ; j’oubliai tout et je sautai sur ses mains pour les baiser…. Dame ! j’ai failli les casser…. J’étais comme fou et je pleurais comme une bête. « Ah ! me dit-elle, vous m’avez fait peur ! Je vis bien que mes gros vilains doigts lui avaient fait mal. Je me jetai à ses genoux : Battez-moi comme un chien, lui dis-je, je ferai ce que vous voudrez ! — Eh bien ! reprit-elle en riant, il ne faut plus prendre de lapins.