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réussi à s’assurer que le Karoûn était navigable jusqu’à Chouchter.

Afin d’entrer dans les derniers détails de cette étude de la politique anglaise au sud de la Perse, nous citerons un fait qui se rattache à cette exploration navale. Un agent anglais se trouvait dans le pays : c’était un de ces enfans perdus que l’Angleterre répand dans toute l’Asie pour nouer ou entretenir à leurs risques et périls les intrigues au moyen desquelles elle corrompt et entraîne les uns afin de vaincre et asservir les autres. On les soutient, on les encourage autant qu’on peut. Échouent-ils ? Comme ils ne sont revêtus d’aucun caractère officiel, on les désavoue. S’ils réussissent au contraire et gagnent à l’Angleterre quelque population ou quelque territoire, la mère-patrie les récompense, les accrédite, et leur succès suscite des imitateurs. On peut dire que ces agens volontaires sont les nœuds qui serrent les mailles du vaste réseau sous lequel l’Angleterre retient une si grande partie du globe. Cette diplomatie inavouée étend sourdement ses racines dans le sol, et finit par le couvrir de rejetons qu’il est souvent difficile d’extirper.

Pendant qu’un bateau à vapeur remontait le Karoûn, il y avait donc dans le pays un de ces agens occultes de l’Angleterre qui y était entré au mois de juillet 1840 et s’y trouvait encore à la fin du mois de janvier suivant. Il pouvait s’entendre avec l’officier chargé de voir par quels accès il était possible de pénétrer au cœur du Khouzistân. Leur action réciproque et simultanée devait être plus efficace. Pendant que l’un s’assurait des moyens d’arriver et au besoin d’amener un corps d’année, l’autre travaillait l’esprit des populations, leur présentant les Anglais comme des libérateurs. Tout fut mis en œuvre pour détacher cette province de son obéissance au roi de Perse, si bien que le châh, ému du danger qui menaçait sa couronne, envoya un corps de troupes au mois de janvier 1841. Il en confia le commandement à Manoutcher-Khân, gouverneur d’Ispahan, l’un des hommes les plus énergiques et les plus dévoués qu’il pût compter parmi les khâns du royaume. Les menées anglaises avaient mis le Khouzistân dans une telle agitation, que le général Duhamel, ministre de Russie à Téhéran, les prit également au sérieux. Il donna à son premier secrétaire, baron Bode, conseiller d’ambassade, l’ordre de se rendre dans la province de Chouchter, par Chiraz et Bebahân, avec mission de prendre une connaissance exacte des intrigues anglaises, d’en apprécier la portée, et de s’assurer jusqu’à quel point elles étaient de nature à exciter la sollicitude du gouvernement persan ; Il devait en outre assister de ses conseils, et de l’influence que pouvait lui donner son titre d’envoyé russe, le chef de l’expédition militaire chargée de rétablir l’autorité du châh. Lorsque les troupes royales parurent, les partisans que la cupidité pouvait avoir acquis momentanément à l’Angleterre s’empressèrent de faire leur soumission ;