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nom, d’Afghans, on a dans le principe désigné spécialement la portion noble de la population, celle qui portait les armes, qui combattait pour l’indépendance nationale, par opposition au surnom de Tadjiks, qui indiquait la classe des commerçans et des artisans. L’Afghanistan s’est aussi appelé tour à tour royaume de Kaboul ou de Kandahâr, suivant celle de ces villes où un usurpateur heureux faisait sa résidence. Ce pays se décompose en un certain nombre de districts qui se sont souvent séparés ; bien loin de former un corps de nation, on a vu ces districts, obéissant à des chefs différens, s’armer les uns contre les autres. Cette division, qui fait leur faiblesse, a dû encourager les prétentions, de leurs voisins. Aussi l’Angleterre, qui comprend bien que l’Afghanistan est une barrière naturelle entre elle et la Russie, a-t-elle voulu y établir son influence. Ses tentatives n’ont pas été toujours heureuses ; elle n’a pu donner de la cohésion aux diverses parties de ce pays, et réunir sous le même pouvoir Kandahâr, Kaboul et Hérat. Le naturel sauvage des Afghans, leur caractère remuant, hâassi, comme disent les Persans, le morcellement de l’autorité entre plusieurs petits princes également jaloux de leur indépendance, et que sert merveilleusement la nature batailleuse des habitans, ont été plus forts que toutes les menées de la politique anglaise. La prise récente d’Hérat a pour effet d’affaiblir la puissance afghane, que l’Angleterre protège aujourd’hui.

C’est la seconde fois, en quelques années, qu’Hérat amène, une rupture entre l’Angleterre et la Perse. En 1836 déjà, le châh Mohammed, successeur de Feth-Ali-Châh, voulut s’en emparer. Il donnait deux prétextes à son expédition : d’abord il voulait venger une injure faite à sa couronne et à ses sujets par les Hératiens, coupables d’être venus, jusque sous les murs de Meched, enlever douze mille Persans, qu’ils avaient vendus comme esclayes[1] ; ensuite il voulait châtier le prince d’Hérat, ce même Khamrân-Mirza, qui, tenant son fief de Feth-Ali-Châh comme vassal et tributaire, s’était parjuré en se déclarant de nouveau indépendant, en insultant chaque jour son suzerain, en bravant sa puissance de toute façon. Fallait-il reconnaître dans cette détermination une pensée russe ? La main de la Russie présida-t-elle aux préparatifs de la campagne projetée en 1836 ? On n’en saurait guère douter. Voyons comment les menées de cet ennemi invisible et présent modifièrent l’attitude des ministres anglais qui se succédèrent alors à la cour de Téhéran.

  1. À ce propos, on rapporte une réponse assez piquante du chah à l’ambassadeur anglais, qui lui faisait des observations sur son attitude vis-à-vis des Afghans. Le chah lui dit qu’il s’étonnait d’être ainsi admonesté par le ministre d’un gouvernement qui employait tous les moyens en son pouvoir pour empêcher la traite des nègres. Quant à lui, il ne voyait pas la différence que l’Angleterre pouvait faire entre le commerce de la chair noire et celui de la chair blanche.