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à son égard dans une stricte neutralité ; dans la lutte des deux religions, elle ne vit guère dès les premiers jours qu’un moyen de faire triompher un de ses principes, la liberté d’adorer Dieu selon sa raison et son inspiration intime. Impartiale et éclairée, elle dépassait la réforme, et était plus capable de comprendre la tradition chrétienne dans son intégrité ; de là, malgré ses attaques et ses invectives, sa modération relative en matière d’orthodoxie. Tout en sapant bien plus que la réforme les bases du christianisme, elle n’avait pas les mêmes haines opiniâtres et aveugles contre l’église romaine ; elle pouvait l’attaquer pour ses abus, la dédaigner même pour sa doctrine : elle la respectait jusqu’à un certain point comme institution politique, nécessaire en raison des temps, et comme forme traditionnelle de religion. Catholique par cet esprit d’impartialité un peu froide et hypocrite, la renaissance le fut aussi par les nations chez lesquelles elle exerça surtout son empire, la France et l’Italie. Là son influence fut surtout sensible ; là, patronée par le clergé lui-même, qui cherchait dans ses rangs des apologistes et des défenseurs, elle infecta, si l’on peut se servir de cette expression, l’église de son esprit. Par une sorte de franc-maçonnerie entre tous les esprits cultivés, les classes privilégiées ou éclairées s’arrogèrent le droit de penser d’une manière indépendante, et arrachèrent à l’église la première charte de la liberté de penser, charte tacite, mais qui a eu des effets réels et durables. Elle n’eut pas d’action sur les masses, il est vrai, comme la réformation, et ne transforma pas le sentiment populaire, mais elle eut action sur les individus, et forma ce qu’on a nommé depuis la société des honnêtes gens. On eut ainsi dès le XVIe siècle l’esprit du XVIIIe, qui n’est, bien considéré, que la continuation de ce mouvement, restreint aux individus, et la confirmation bruyante de cette charte tacite et silencieusement octroyée. De bonne heure les grandes nations catholiques, la France et l’Italie, tout en restant soumises à la lettre des institutions, s’arrogèrent donc, grâce à la renaissance, le droit que réclama plus tard Voltaire, le droit aristocratique de penser autrement que son tailleur ou sa blanchisseuse. Catholique enfin est la renaissance dans le sens le plus élevé et le plus philosophique du mot, dans le sens d’universel. L’unité matérielle du monde rêvée par Rome, la réconciliation des gentils et des Juifs réalisée par le christianisme, sont dépassées par la renaissance, sinon en fait, au moins en espérance. L’idée de l’unité spirituelle du genre humain, à laquelle n’avait songé ni l’antiquité grecque et romaine dans son horreur des barbares, ni le moyen âge dans sa haine des païens, apparaît pour la première fois au XVIe siècle, confuse et vague encore, il est vrai, plongée dans les limbes de l’érudition, souvent enveloppée de pédantisme. La découverte et la publication des manuscrits