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la représentation d’un opéra. Il n’a pas toujours pour les idées et pour les faits le respect sévère et calme que tout penseur doit porter en lui. Contemplateur par nature, il n’a pas cette impassibilité sérieuse et humble qui est l’apanage des organisations mystiques ; il jouit du spectacle des choses, il assiste avec une volupté frémissante à cette représentation du drame passionné de l’histoire ; il s’enivre de sa pensée ou plutôt de ses impressions, qu’il double par l’effet de son imagination. Il cherche, dirait-on, parfois dans l’histoire et dans la nature un breuvage qui puisse lui donner les plus riches visions. Sa nature nerveuse vibre comme un clavier qu’une main invisible a touché ; il s’écoute vibrer avec ravissement, et prolonge à plaisir l’émotion qu’il tire de lui-même. Quand on lit certaines de ses pages, il vous semble entendre une musique d’autant plus séduisante que la mélodie n’est pas dans la phrase et dans le style, ni même dans la pensée, mais dans le mouvement imprimé à l’âme de l’écrivain. On écoute enchanté, et la page finie, lorsqu’on retombe dans le terre-à-terre des faits, on se frotte les yeux comme si l’on sortait d’un rêve, et alors l’enchantement n’aidant plus, on se demande parfois si c’est bien ainsi qu’on doit approcher des choses qui touchent de si près à la vérité elle-même.


II.

L’histoire que racontent les derniers volumes de M. Michelet est celle du XVIe siècle, la plus belle que contiennent les annales humaines. En bien, en mal, le XVIe siècle reste grand entre tous ; rien n’y est mesquin, même la bassesse ; rien n’y est futile, même le caprice. Les hommes de cette époque étonnent par leur surabondance de force, par la hardiesse et l’originalité de leurs conceptions, par la fermeté de leur caractère. Jamais aussi, il faut le dire, siècle ne fut mieux placé pour être facilement grand. La nature humaine s’était pour ainsi dire reposée comme une terre en friche pendant de longues générations, sauf le grand moment du XIIIe siècle, qui fut plutôt un produit forcé des institutions et de l’état social qu’un produit spontané des forces intimes de l’âme. N’ayant jamais essayé de marcher seul, l’esprit humain avait pour ainsi dire la naïveté de l’ignorance ; encore à ses premiers essais, et n’ayant rien enfanté, il ignorait aussi les mièvreries et les petitesses que le besoin de la nouveauté fait inventer aux peuples vieillis. Dans de telles conditions, également loin de la présomption et de la corruption, il devait facilement trouver le grand, et dès ses premières tentatives il le trouva.

Le premier coup d’œil jeté sur la nature est toujours le plus vif,