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Que d’autres se servent d’instrumens plus précis et se vantent de leur talent d’analyse, M. Michelet fait appel à l’intuition, et l’intuition le sert mieux que l’instrument d’analyse le plus fin et le plus aiguisé. Quand il décrit un personnage, il s’efforce de pénétrer dans les secrets de cet organisme vivant, de surprendre s’il le peut le jeu caché des passions, les pensées enveloppées de l’âme, en un mot tout le monde mystérieux que recouvrent l’apparence trompeuse des actes extérieurs et le masque dissimulé du visage humain. Il porte dans la science historique des allures de magicien ou de magnétiseur et la seconde vue d’un illuminé. À la suite de cette muse tout instinctive, prime-sautière et passionnée qui s’appelle l’imagination, il arrive à d’étranges aberrations, mais aussi à des profondeurs que ne lui auraient jamais montrées les microscopes les plus grossissans. Quoiqu’il n’use pas des procédés les mieux connus et les plus certains de l’analyse, ses aperçus et ses explications des caractères humains sont la plupart du temps d’une finesse psychologique surprenante, ils étonnent par leur subtilité et en même temps par leur précision.

Si nous voulions définir M. Michelet et le distinguer nettement de tous les autres écrivains de notre époque, nous dirions, malgré tout ce que ce mot a de matérialiste, que c’est par excellence une organisation. C’est une nature toute spontanée, toute personnelle, qui ne doit rien aux choses du dehors. L’originalité de la plupart des hommes se forme avec la vie et l’étude. Ni l’expérience ni l’étude ne semblent lui avoir donné une faculté de plus, ou une méthode de diriger ses facultés. Il n’y a rien d’acquis en lui. L’étude n’a fait qu’assembler une plus grande quantité de matériaux pour fournir à son imagination de nouveaux moyens de répandre ses couleurs ; l’expérience n’a pas modifié, mais développé ses facultés préexistantes. L’imagination était déjà très forte à l’origine ; l’étude, qui d’ordinaire lui donne pour contrepoids la circonspection et la timidité, l’a au contraire doublée. La fibre sympathique était très vive : l’expérience, qui d’ordinaire la rend moins sensible, l’a surexcitée au contraire, et lui a donné une susceptibilité inouïe. La réflexion, la comparaison, le jugement, toutes ces mécaniques spirituelles que l’âme se construit pour elle-même avec les matériaux extérieurs, semblent lui avoir été toujours inconnus. Il ne rend que ce qu’il sent, et s’il fait quelquefois effort sur lui-même, ce n’est que par la difficulté de rendre son impression exacte. Il pense avec sa nature tout entière, avec son âme, avec son imagination, avec ses nerfs ; son style devient haletant ou lâché selon que les mouvemens du cœur chassent et reçoivent le sang avec rapidité ou lenteur. Il n’est pas de ces écrivains dont la pensée domine tellement la vie, qu’on ne sent en les lisant