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et dont tous les gens de bien doivent lui savoir gré. Il n’y a qu’un point sur lequel nous ne puissions être d’accord avec lui dans cette déclaration de guerre à la ligue, c’est la différence qu’il essaie d’établir entre les ligueurs du XVIe siècle et les sans-culottes du XVIIIe. Ici les théoriciens qu’il combat reprennent tout leur avantage ; oui, les uns sont bien les ancêtres des autres ; oui, les uns et les autres ont été formés à la même école, ont reçu les mêmes leçons, et sont sortis de la même putréfaction. Seulement nous nous empressons de reconnaître que tout l’avantage reste aux ancêtres, qui avaient eu des maîtres bien plus retors et bien mieux exercés.

Ainsi cette partialité tant reprochée à M. Michelet n’a rien en définitive qui puisse effaroucher beaucoup nos consciences. Il n’est pas plus partial que tout autre écrivain qui démolit ingénieusement le système de la vieille monarchie, et qui trouve moyen de se faire applaudir même des partisans de l’ancien régime. Ses conclusions sont parfaitement avouables, ses préférences légitimes. D’où vient donc cette accusation de partialité en vertu de laquelle on le condamne ? Nous l’ayons déjà dit, des détails malicieux dans lesquels il se complaît et du ton blessant et injurieux avec calcul qu’il affectionne. Ce sont là de très graves défauts, pas assez graves cependant pour qu’on se refuse avoir ce qu’il y a de talent sérieux, de fines pensées, de qualités éminentes, chez cet écrivain. C’est pour remplir ce devoir en toute conscience que nous avons si longuement insisté sur ses défauts.

Les dons que M. Michelet a reçus sont des plus heureux que la nature puisse accorder à un homme, car ce sont les dons qui rendent aimables les labeurs les plus fatigans, attrayantes les plus lourdes tâches, et qui seuls sont capables de transformer une vie de travail en une vie de volupté. Certains écrivains, on le voit trop en les lisant, sentent surtout ce qu’il y a de pénible et d’austère dans la science ; lui, au contraire, ressent surtout ce qu’elle peut donner de charme et de bonheur. D’autres font taire volontairement leur cœur, et se refusent le plaisir de comprendre et d’expliquer les faits et les doctrines qui n’ont pas un rapport direct avec le but qu’ils se sont marqué ; lui, au contraire, est avide de pénétrer les secrets et d’extraire la poésie de toute chose. Pour comprendre et saisir, il fait appel à son imagination, une des plus fortes de l’époque actuelle ; pour juger, il fait appel à sa sympathie, qui est singulièrement éveillée, et qui, en dépit de ses passions politiques et religieuses, est bien une des plus tolérantes que nous connaissions. La curiosité, l’imagination, la sympathie, voilà ses trois grands moyens d’étude et de travail, les trois clés magiques avec lesquelles il ouvre les arcanes de l’histoire et nous en décrit les trésors.