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le grand Coligny, dont il parle du reste en termes touchans et avec une émotion grave et morale, dont aucune dissonance ne vient cette fois troubler l’accent digne et pieux, deviendrait presque un précurseur de la révolution ! Quand il doit juger Calvin, le bûcher de Servet et les persécutions des libertins l’épouvantent ; dans ce terrible chrétien, il hésite justement à voir un ancêtre des conventionnels, et il se fait un peu prier avant de dire, brusquement : « N’importe, ce fut un des nôtres. » Les protestans choisissent pour chef un prince du sang, Condé ; M. Michelet, au nom de ses idées démocratiques de 1856, s’en indigne : « Foule idiote qui brisait les mortes idoles, adorait les vivantes ! guerre absurde de la liberté au nom d’un prince du sang, au nom d’un roi captif des Guise ! » Cette préoccupation du temps présent dans le récit des choses du passé l’entraîne dans des jugemens précipités qu’il est ensuite obligé de réviser lui-même et de casser. Il a beau faire, son érudition historique l’emporte sur ses passions, et l’amène malgré lui à formuler un jugement impartial. À chaque instant, il se hâte trop de déclarer que la France a touché le fond de l’abîme, et cependant il est obligé, quelques pages plus loin, de regretter ce qu’il avait condamné. L’administration d’Henri III le rend juste pour l’administration de Charles IX ; les intrigues des Guise et du parti espagnol l’obligent, quoi qu’il en ait, à être indulgent pour Henri III. Après avoir conspué la cour corrompue des derniers Valois, il est contraint de chercher un abri même dans cette cour contre la tyrannie des factions, et, malgré ses préférences démocratiques, de se raccrocher à la monarchie comme à la dernière planche de salut au milieu de la tempête où la France faillit sombrer. La première fois qu’il rencontre Henri IV, il le juge défavorablement, et se presse trop vite de déclarer qu’il ne sera jamais son héros ; mais, chemin faisant, le cours des événement l’entraîne à juger moins sévèrement et l’amène à voir tel qu’il fut cet homme ferme et fin qui mit un terme à l’anarchie, et fonda la France sur les bases qu’elle devait occuper deux siècles.

Est-ce à dire cependant qu’il faille pousser ce reproche de partialité aussi loin que le font certains critiques, et condamner l’historien parce qu’il a des préférences de partis et d’opinions ? Nous avons inventé de nos jours une doctrine d’impartialité historique qui serait immorale, si elle pouvait être mise en pratique, mais dont nos dernières révolutions se sont heureusement chargées de nous corriger. Les événemens de février, en faisant détourner notre histoire de sa ligne directe et en changeant sa logique apparente, nous ont amenés insensiblement à réviser nos jugemens sur le passé. Les faits les plus lointains, ceux qui semblaient avoir le moins de rapports avec notre vie moderne, ont été soumis à un nouvel interrogatoire.