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inconnu même à votre victime avant la minute où vous aurez lancé votre injure. Vous lui découvrez une infériorité qu’il ignorait, malice que les hommes ne pardonnent jamais. Or toutes les publications de M. Michelet depuis dix ans sont écrites avec cet esprit et de ce ton acerbe et blessant. Son pamphlet au Prêtre, de la Femme et de la Famille, la moitié de son livre du Peuple, bon nombre de chapitres de son Histoire de la Révolution sont faits pour exaspérer les partis contre lesquels ils, sont dirigés. L’attaque est d’autant plus désagréable, que, ne portant jamais sur un ensemble de faits ou sur des questions de principe, mais sur des détails personnels, la réfutation est presque impossible. En outre, grâce à sa vive imagination, M. Michelet ne s’en tient pas aux faits réels ; il invente des faits possibles, tout psychologiques, que l’on ne peut cependant pas affirmer faux, car on sent qu’ils peuvent exister avec un concours particulier de circonstances. Pour avoir une idée de cette satire psychologique, on n’a qu’à comparer ses chapitres sur la confession, par exemple, au pamphlet de Paul-Louis Courier. Paul-Louis expose brutalement les faits connus et qui peuvent se produire naturellement. M. Michelet va plus loin ; il décrit les émotions probables, les ruses problématiques, les égaremens hypothétiques. L’auteur sort du terrain des faits et poursuit ses adversaires dans le domaine mystérieux du possible.

Ses écrits sur le XVIe siècle ont la même dangereuse qualité. L’historien ne se contente pas de reprocher aux personnages qu’il n’aime pas leurs défauts et leurs crimes connus, il s’attaque à leur nature même et renchérit encore sur leurs vices. Catherine est plus basse et plus intrigante encore que ne la représente la tradition historique, Marie Stuart est bien toujours la dangereuse sirène que nous connaissons, mais elle a cessé d’être touchante ; sous ses dons brillans l’historien nous montre une âme presque abjecte, perfide et menteuse comme le vice galant, intrigante comme une aventurière, adonnée à des galanteries où le choix même ne préside pas. La draperie royale a été enlevée, et la nature nue montrée : c’est bien toujours Marie Stuart ; cependant il manque un détail qui enlève au portrait sa ressemblance, précisément cette draperie royale qui faisait aussi partie de sa personne, et sans laquelle nous ne pouvons voir la nièce des Guise telle qu’elle fut réellement. Le duc François de Guise est peint sous son aspect le plus sombre et le plus révoltant ; tous les côtés violens de cette âme cruelle et ferme sont impitoyablement accusés ; nous reconnaissons bien le fourbe superbe qui, au contraire du gai cardinal de Lorraine, savait si bien cacher ses mensonges sous une apparence de colérique franchise et sous des dehors impérieux : où est cependant ce fier homme d’épée qui commandait à