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à l’animosité de certains critiques, viennent encore s’ajouter une foule de causes secondaires : l’inégalité de ce talent, la multiplicité rapide des aperçus, qui laisse dans l’imagination du lecteur une sorte d’éblouissement ; le mélange et le contraste heurté de tous les tons et de tous les styles, depuis le style lyrique le plus élevé Jusqu’au langage le plus vulgaire et quelquefois le plus cynique[1], les sons de la trompette épique remplacés brusquement par les mélodies du cornet à bouquin, les soudaines rencontres d’analogies et d’images qui vous saisissent d’étonnement, la nécessité d’avoir recours à la mémoire pour renouer le fil des événemens, à chaque instant brisé et perdu dans un récit haletant, et la nécessité d’avoir recours à la réflexion pour pénétrer la pensée réelle de l’auteur ; Toute cette macédoine piquante et excentrique de qualités qui deviennent facilement des défauts, et de défauts qui ont souvent tout le charme de qualités véritables, justifie également les opinions les plus contradictoires. On peut admirer, on peut blâmer, mais la nature même de ce talent est plus facile à critiquer qu’à admirer. Pour l’admirer, il faut l’expliquer et le sentir, faculté réservée aux très rares tempéramens qui ont quelque rapport avec le sien. Pour le condamner au contraire, vous n’avez qu’à lire, et si vos nerfs sont plus énergiques que délicats, si votre tempérament est un peu sanguin et grossier, si vous avez plus de goût pour les lieux communs du bon sens ordinaire que pour les raffinemens de la pensée, les motifs de sévérité ne vous manqueront point. Puéril, affecté, tourmenté, toutes ces épithètes malveillantes viendront d’elles-mêmes se présenter à votre esprit, et chacune de ces expressions sera méritée. Si vous avez l’intention d’être injuste, sachez qu’il n’est pas d’écrivain avec lequel il soit moins périlleux d’employer la mauvaise foi, car ses défauts sont de ceux qui frappent tous les yeux, et ses qualités sont de celles qui ont besoin d’être dégagées et mises en lumière.

Il est donc très facile au critique malveillant d’employer à l’égard de M. Michelet les restrictions mentales, de ne le louer qu’avec une réserve proche parente de l’injustice, de tempérer l’éloge par la raillerie.

  1. Les expressions vulgaires et cyniques abondent dans les derniers écrits de l’auteur, qui semble même les rechercher avec une avidité, tout à fait inexcusable. Ainsi on lit en toutes lettres cette phrase incroyable sur Marie Stuart : « Cette fille publique traînée par des soldats dans les rues d’Edimbourg. » Il parle des yeux provoquant de catin de la reine Marguerite, la première femme d’Henri IV. Dans un des nombreux portraits qu’il a tracés de Catherine de Médicis, il insiste particulièrement sur le mufle traditionnel des Médicis, sur leur forte face intelligente et bestiale. Ailleurs, pour expliquer par une raison physique l’horreur qu’Henri II ressentait pour sa femme, il écrit cette phrase cruelle et insultante : « Il en avait horreur comme d’un ver né du tombeau de l’Italie. »