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Parlez-nous de tel illustre rhéteur qui, pendant quatre cents pages, va semant d’une main toujours égale ses phrases et ses fleurs, de tel écrivain célèbre qui n’a qu’une note, il est vrai, mais si claire et si sonore, et qui, deux volumes durant, vous la fait résonner sans pitié comme un battant d’acier qui frapperait sur une surface de cuivre ! Voilà ce que nous pouvons louer sans réserve !

M. Michelet a fait en partie cette expérience ; ses qualités ne lui ont pas moins nui que ses nombreux défauts. Il n’est pas mis, selon nous, à son véritable rang. Bien des causes ont contribué à accomplir cette demi-injustice. Il a trouvé à ses débuts des gloires établies devant lesquelles il s’est prosterné comme un disciple devant un maître, qu’il n’a pas songé à détrôner, et qui, fières de recevoir un encens aussi parfumé, lancé par une main aussi délicate, l’auraient volontiers conservé comme thuriféraire officiel. Longtemps il a vécu dans la solitude, se mêlant peu au monde, vivant de sa vie intime et la répandant dans de lyriques soliloques : nouveau malheur qui lui valut la réputation de visionnaire. Le titre assez singulier de hiérophante de l’histoire lui avait été décerné ; il s’en contentait trop modestement à notre avis, lorsque, dernière et irréparable infortune, il s’est compromis dans une des plus tristes querelles que les mauvais génies puissent envoyer à un homme. Une querelle avec un clergé quelconque, dans une époque aussi chancelante que la nôtre, et où tant de prudence est nécessaire, est pleine de périls et doit être évitée à tout prix. Si vous êtes attaqué, le mieux est de filer rapidement, ailes déployées, comme le cygne pacifique, au lieu de défier l’orage et de l’appeler par vos cris, comme un oiseau des tempêtes ; sinon, vous serez sûr d’être isolé ; les politiques vous abandonneront, et votre parti lui-même vous soutiendra de mauvaise grâce. C’est là ce que ne comprit pas ou ne voulut pas comprendre M. Michelet. Une fois réveillé de sa quiétude mystique et arraché à ses contemplations solitaires, sa nature nerveuse, impressionnable, imaginative, qui l’avait trop préservé jusque-là du contact du monde, le jeta dans la polémique, où il s’engagea avec une ardeur fiévreuse. Ses témérités eurent le résultat qu’il en pouvait attendre : il ne fut pas soutenu, il se vit même délaissé, et cet abandon ne fit qu’augmenter encore son irascibilité. Il chercha des appuis, et il en trouva dans les partis extrêmes. À sa fougue anti-catholique vint donc se joindre bientôt la fougue démocratique, et dès-lors il ne trouva plus pour son talent que des juges partiaux, et auxquels pesait la louange. Ainsi à toutes les phases de son existence il a rencontré un obstacle : d’abord les réputations établies, puis la solitude, enfin une querelle malheureuse et des passions politiques excessives.

À ces causes principales, qui donnent comme une sorte d’excuse