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effet de lumière séduit leur esprit plus encore que leur vue ; ils le développent ou l’exagèrent, l’éteignent ou l’affaiblissent sans aucune préoccupation d’exactitude, et l’imagination plus que l’œil, l’interprétation plus que la réalité font naître un tableau où la nature apparaît avec une ressemblance fictive, non pas absolument telle que le soleil la montre et telle que la voit un daguerréotype, mais avec un charme d’intelligence et de vie que l’artiste seul lui donne. Si nous disséquons ensuite ces lumières et ces ombres, nous y découvrons toutes les inexactitudes que nous avons signalées. Tous les tons sont affaiblis ; ce n’est point la vérité, c’est une convention acceptée, et, pour continuer la comparaison précédente, les artistes ressemblent à un chanteur qui diminuerait tous les intervalles d’un air étendu, afin de le comprendre entre les notes les plus hautes et les plus basses de la voix ; seulement l’œil n’est pas construit comme l’oreille, et ce qui ne le blesse pas doit nous être indifférent.

Je ne veux pas terminer cette étude sans en tirer quelques conclusions, bien qu’elles s’adressent à des questions qui dépassent ma compétence. J’ai fait, pour satisfaire une curiosité scientifique légitime, un examen comparatif des éclairemens dans la nature et dans les tableaux. Je crois qu’il est toujours utile de se rendre un compte exact de ce que l’on fait, et de ne conserver aucune illusion sur ce que l’on produit. Il est résulté de cet examen une première remarque de fait : c’est que la peinture n’est pas, comme on le suppose souvent, une reproduction de la nature, mais une fiction admise, dont les procédés sont conventionnels, et qui produit des œuvres sans réalité physique. Il en découle une autre vérité, tout aussi incontestable : c’est que si l’on tentait de donner à la peinture ce caractère de réalité qui lui manque, on rencontrerait une impossibilité matérielle contre laquelle il est inutile de lutter. Ces conclusions ne sont pas des idées préconçues ou l’expression d’une opinion personnelle : ce sont des vérités de fait, des résultats d’observations précises, attentives et prolongées, et qui, obtenus par la méthode expérimentale des sciences, ont le même degré de certitude que les lois de la physique. Et puisque ces inexactitudes sont une des conditions obligées de la peinture, il faut se résigner à les accepter sans se plaindre et sans critiquer, puisqu’on ne peut y porter remède.

Or les artistes les plus éminens, bien que restant toujours dans certaines limites qu’il ne faut pas trop étendre, n’ont jamais montré pour la vérité matérielle un respect bien marqué. Ils ont choisi leurs formes, leurs couleurs et leurs lumières, se sont donné toute liberté dans l’interprétation, et ont spécialement dirigé leur attention, les uns vers la couleur, les autres vers le dessin, aucun ne se rendant l’esclave de ce qu’il voyait. De là sont venues des écoles nombreuses,