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minée par le soleil, mêle à la lumière qui nous vient des objets celle qu’elle réfléchit ; il y a donc comme un voile lumineux interposé entre l’observateur et les plans éloignés, et dès lors les contours s’amollissent, les ombres s’éteignent, les couleurs se confondent et les éclats augmentent dans le lointain jusqu’aux montagnes qui limitent l’horizon et se confondent presque complétement avec le ciel par leur apparence et leur éclat. En général, on voit donc les points les moins brillans dans les parties les plus rapprochées ; puis en s’éloignant les plans s’illuminent, et l’on observe une gradation croissante des éclats jusqu’à l’horizon, jusqu’aux nuages du ciel qui dépassent tous les objets terrestres, et enfin jusqu’au soleil qui illumine la scène tout entière et se présente avec une intensité incomparable que nos yeux ne peuvent supporter. Prenons maintenant un photomètre, mesurons les rapports de la lumière dans tous les tons de cette gamme chromatique qui commence à des éclats à peine sensibles, et finit à l’éblouissante clarté du soleil ; nous reconnaissons aisément que la distance entre les termes extrêmes est incommensurable, et qu’il est aussi impossible d’exprimer la lumière solaire par un nombre que la distance d’une étoile à la terre : elle est infinie. Si, dans l’impossibilité de continuer nos mesures jusqu’à l’éclat du soleil, nous arrêtons nos déterminations aux nuages les plus brillans, nous leur trouvons encore une intensité plusieurs mille fois au moins et souvent plusieurs millions de fois égale à celle d’un arbre voisin de nous, il y a donc dans la nature toutes les intensités possibles d’éclairement, depuis celles que l’on peut à peine apercevoir jusqu’aux éclats que l’on ne peut supporter, depuis l’obscurité absolue jusqu’à la lumière infinie.

En est-il de même dans la peinture ? Évidemment non. Il y a encore, cela est vrai, une gamme continue ; mais elle s’étend entre deux termes limités dont le plus sombre est fourni par la couleur la plus foncée, le plus éclatant par la couleur la plus brillante, et pendant que l’échelle naturelle est infinie, l’échelle des peintres est courte, beaucoup plus courte qu’on ne le croit : nous allons le prouver. Étendons sur l’une des moitiés d’une toile une couche épaisse et uniforme de blanc d’argent ; déposons sur l’autre partie du noir d’ivoire, mêlé, si vous le voulez, de bitume et de bleu indigo ; laissons sécher, vernissons avec soin et nous aurons un tableau offrant sans intermédiaire d’une part la plus vive lumière, de l’autre la plus grande obscurité qu’un peintre puisse produire, c’est-à-dire les deux limites entre lesquelles la peinture est nécessairement enfermée. Exposons cette toile à une belle lumière, cherchons le rapport des deux éclats, nous le trouverons égal à 90. Admettons, pour être généreux, qu’il soit égal à 100, et nous concluons qu’il ne sera pas possible de représenter sur un même tableau à la fois des plans