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et à laquelle pourtant, si les circonstances le commandaient, M. de Knesebeck était autorisé à donner un caractère sérieux. L’empereur Alexandre serait invité à ouvrir des négociations pour arrêter les bases de la pacification générale ou continentale, et conclure immédiatement un armistice.

M. de Hardenberg fit connaître, le 19 février, à M. de Saint-Marsan l’objet officiel de la mission du colonel Knesebeck. « Les troupes françaises, lui dit-il, se retireraient derrière l’Elbe, les troupes russes derrière la Vistule ; tout le pays intermédiaire serait neutralisé, et des négociations pour la paix générale seraient ouvertes. » La France fut invitée à déclarer si elle consentirait à entrer dans un pareil arrangement et à remettre la garde des forteresses de l’Oder, de Pillau et de Dantzig à des troupes mi-partie saxonnes et prussiennes. M. de Hardenberg ajouta que la sûreté et l’honneur du roi exigeaient que l’on sauvât un coin de terre où l’on pût agir en liberté ; il affirma que le système fondé par l’alliance avec la France était encore intact, que sa cour n’avait fait aucune avance à l’empereur Alexandre, et que le désespoir causé par les refus réitérés de l’empereur Napoléon de secourir les misères de la Prusse pourrait seul la déterminer à se jeter dans les bras de la Russie. M. de Hardenberg, en prononçant ces derniers mots, était en proie à la plus vive émotion.

Comme il était facile de le prévoir, l’empereur Alexandre refusa de consentir à ce que le territoire de la Silésie fût neutralisé ; mais il promit de n’occuper cette province que du consentement du roi, puis, afin de dissiper toute incertitude dans l’esprit de ce prince, il lui envoya en toute hâte le baron de Stein et M. d’Anstett.

Le roi avait toujours eu peu de goût pour la personne de son ancien ministre. Son esprit, timide et attaché aux traditions, se sentait troublé à côté du génie ardent et novateur du baron de Stein, et il ne lui avait jamais accordé sa confiance qu’avec de secrètes réserves. Aujourd’hui Stein représentait dans sa personne les deux grandes forces conjurées contre Napoléon, la coalition avouée ou cachée des rois et le soulèvement du peuple prussien. Il était ainsi devenu un personnage redoutable qui s’imposait à tous, aux souverains tremblans sur leurs trônes comme aux masses fanatisées. Le roi le craignait trop pour le revoir avec plaisir ; mais il ne pouvait ni le désavouer, ni l’écarter : il le reçut donc. Stein fut tour à tour pressant, pathétique et véhément. Il traça un tableau saisissant de la situation ; il dit que l’empereur Alexandre était prêt à donner au roi les garanties les plus efficaces, à contracter avec lui les engagemens les plus étendus, mais qu’il attendait du roi en retour une confiance sans bornes, que le temps pressait, qu’il ne fallait pas compliquer la grande affaire de l’alliance par d’autres questions qui pouvaient être ajournées