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La défection de Bulow, en livrant la ligne de l’Oder, découvrait Berlin et les Marches. Czerniclief, à la tête de 3,000 Cosaques, s’élança au-delà du fleuve ; ne trouvant partout que sympathie et encouragemens, il courut sur Berlin. À son approche, la ville s’émut d’une joie convulsive : toute la population sortit des maisons dans l’attente et l’espérance d’une collision. La passion se peignait sur tous les visages ; une insurrection était imminente. Augereau n’avait sous la main que quelques milliers d’hommes ; mais sa ferme contenance, la précision et la vigueur de ses mesures, imposèrent à la multitude. Il fit avancer ses canons, marcha sur la bande de Czernichef, la dispersa, et rétablit l’ordre matériel dans les rues. Malheureusement c’était un calme trompeur, le trouble et la passion étaient au fond de toutes les âmes. Le moindre incident pouvait déterminer un soulèvement et compromettre la retraite du vice-roi.

Sur notre droite, le corps autrichien s’enfonçait de plus en plus dans une direction excentrique. Le général Frimont, qui venait de remplacer le prince de Schwarzenberg, rappelé à Vienne, écrivait le 21 février que son flanc gauche était tellement découvert et son flanc droit si menacé par les généraux Moskin, Puskin et Rott, qu’il allait quitter ses cantonnemens derrière la Pilica, se reporter derrière les forêts et les gorges de Kolla, appuyer sa droite aux frontières de la Galicie, et sa gauche au corps de Poniatowski, placé entre Czersechau et Cracovie. Ainsi le vice-roi se trouvait découvert et menacé de tous côtés, — sur son flanc droit, par la retraite du corps auxiliaire, — sur son front, par l’échec que Régnier venait d’essuyer à Kalish, — sur sa gauche, par la défection de Bulow, — sur ses derrières enfin, par les édits du roi qui armaient toute sa population. Il fallait non plus songer à défendre la ligne de l’Oder, mais se porter sur le point décisif, qui était Berlin, et y prévenir à tout prix une insurrection. En conséquence le vice-roi évacua Francfort-sur-l’Oder, rallia successivement toutes les forces éparses entre ce fleuve et l’Elbe, les divisions Grenier et Gérard, réunies en un seul corps, le 11e, sous les ordres du maréchal Gouvion Saint-Cyr, et formant ensemble 36,000 hommes, les débris du 7e corps et un certain nombre de bataillons de marche ; puis il prit possession le 21 de la capitale, et le 23 il transporta son quartier-général à Kœpnick, placé à une petite distance de la ville.

La situation personnelle du roi de Prusse n’était pas moins critique que celle du vice-roi. Quelque empressement que missent ses sujets à répondre à l’appel qu’il leur avait fait, il n’était pas encore en mesure d’entrer en guerre avec la France. Il avait une immense quantité de recrues, mais point d’armée organisée. Il lui fallait absolument deux mois au moins pour se trouver dans des conditions qui lui permissent d’ouvrir la campagne. De leur côté, les Russes