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positivement ce qu’est devenue l’armée prussienne ; le général Bertrand pense qu’elle a pris la route de Breslau, d’autres prétendent au contraire qu’elle s’est retirée dans la direction de Berlin. » Le 15 au soir, toutes incertitudes avaient cessé. L’empereur avait appris que le gros des colonnes prussiennes s’était porté sur Bautzen, où se trouvaient déjà réunis les Russes et les souverains. Plus tard il sut non-seulement que les alliés s’y étaient arrêtés, mais qu’ils fortifiaient toutes les positions, si favorables à la défense, qui entourent cette petite ville ; il le fit savoir aussitôt au maréchal Ney, lui ordonna de rentrer dans le mouvement de la grande armée et de se porter sur Hoheswerda.

L’attitude prise par l’empereur François avait aggravé singulièrement notre situation. La direction qu’avaient suivie les alliés dans leur retraite ne permettait plus de douter qu’ils ne fussent d’intelligence avec ce souverain, et les nombreux ouvrages qu’ils élevaient autour de Bautzen semblaient indiquer qu’ils voulaient moins nous livrer bataille que nous fatiguer, nous arrêter, et laisser au cabinet de Vienne le temps de compléter ses arméniens. Une grande et décisive victoire remportée par nos armes déjouerait certainement toute cette trame, et ramènerait l’Autriche tremblante et soumise à nos pieds ; mais comment obtenir ce triomphe ? Les informations venues de tous côtés annonçaient que les positions qu’occupaient les alliés, et où ils se retranchaient, étaient formidables. Nous n’avions presque point de cavalerie, tandis que la leur était aussi nombreuse que solide. Enfin, si notre armée était brave, la leur ne l’était pas moins, et la fortune semblait s’être plu à égaliser les chances. Napoléon ne pouvait se dissimuler qu’une seconde victoire, aussi disputée que celle de Lutzen, et aussi peu décisive, à plus forte raison un échec le mettrait à la merci de l’Autriche. Toute son âme se révoltait à la pensée de laisser cette puissance arbitre suprême des conditions de la pacification. Pendant longtemps il avait caressé l’espoir que l’alliance de famille contractée en 1810 avec la maison de Lorraine pourrait conduire à une alliance politique intime. Pour cimenter une telle alliance, il n’eût reculé devant aucune concession raisonnable. Aujourd’hui toutes ses illusions étaient détruites. Il était convaincu que l’Autriche n’avait répudié ni les passions ni les ressentimens qui tant de fois, depuis dix-neuf ans, lui avaient mis les armes à la main, et que nos malheurs, en ravivant ses espérances, avaient rallumé ses haines. Les cabinets en effet ne connaissent point ces mouvemens du cœur, ces sentimens miséricordieux, qui n’appartiennent qu’aux péripéties de la vie domestique. Napoléon ne croyait plus à la bonne foi de la cour de Vienne ; il croyait moins encore à son désintéressement, et il ne doutait pas que si on laissait jouer à cette puissance le rôle d’arbitre de la paix, elle en