Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ne peuvent le faire à leurs frais. Le vice-roi veut comprimer ce grand mouvement, qui de tous côtés se propage et l’enveloppe : vains efforts ! à Berlin, sous les yeux du maréchal Angereau, toute la jeunesse virile se lève. Aucun sacrifice ne coûte à cette capitale ; hommes, chevaux, équipemens, approvisionnemens, argent, elle donne tout ce qu’elle peut donner ; chaque jour, une foule d’habitans partent électrisés au milieu des acclamations et des cris de guerre de la ville entière.

Sachons juger avec la haute impartialité de l’histoire les implacables ennemis de nos pères. C’est un grand spectacle que celui de ce peuple froid, contenu, raisonneur, si fier de la gloire que lui avait donnée Frédéric II, tombé si bas après Iéna, se relevant tout entier aujourd’hui sous l’aiguillon de la vengeance, et prodiguant à son roi son sang et ses dernières ressources. Puisse cet exemple servir de leçon aux nations sceptiques et frivoles, et leur apprendre qu’elles sont solidaires de leur gouvernement, même de ses fautes, lorsque ces fautes n’ont eu d’autre mobile que l’amour et la grandeur du pays, et qu’il y a des outrages qu’elles ne doivent jamais oublier !

C’est par l’action incessante des sociétés secrètes que les chefs du mouvement prussien étaient parvenus à passionner graduellement les masses. Ces sociétés poursuivaient toutes un but commun, l’expulsion des Français de l’Allemagne ; mais la plupart d’entre elles aspiraient à réaliser encore d’autres espérances : elles voulaient compléter l’œuvre civilisatrice commencée en 1808 par le baron de Stein, introduire ces grands principes d’égalité civile et de liberté politique au nom desquels s’était accomplie la révolution française. Toutes ces affiliations, enfantées au milieu des misères de la défaite et de l’occupation étrangère, couvraient de leurs nombreux réseaux la Prusse entière ; leur organisation était aussi souple que vigoureuse. Elles comptaient des adeptes dans toutes les classes et dans toutes les familles ; elles avaient des consolations pour toutes les souffrances, des excitations pour toutes les vengeances, des encouragemens pour toutes les théories. Elles s’adressaient à tous les penchans, aux plus déréglés comme aux plus nobles ; il n’y avait pas une fibre, bonne ou mauvaise, qu’elles n’eussent trouvé le secret de toucher et de faire vibrer. Le mouvement qui soulevait le peuple prussien avait donc un double caractère : il était tout à la fois guerrier et révolutionnaire. C’est par le concours simultané de ces deux forces que les chefs des sociétés secrètes étaient parvenus à passionner toutes les âmes. Ces sociétés ne se bornaient pas à appeler la haine publique sur l’homme qui avait abaissé le front couronné du descendant des Hohenzollern : elles couvraient encore d’anathèmes le destructeur des libertés de son pays.

Voilà ce qui explique la violence et l’unanimité de l’explosion du