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Tous les chevaux propres au service de guerre étaient mis en réquisition, et ces grandes dépenses étaient ordonnées au milieu d’une véritable détresse financière. Il n’y avait aucun doute que l’Autriche se préparait à faire une grande guerre ; la question était de savoir contre qui elle armait.

Napoléon avait en haute estime les vertus privées de l’empereur François. Il lui répugnait de penser qu’un père si tendre méditât de tourner ses armes contre l’homme à qui il avait confié le bonheur de sa fille, surtout dans un moment où cet homme lui témoignait une si grande confiance ; mais d’une part la retraite du corps auxiliaire sur Cracovie, de l’autre les vastes arméniens entrepris par l’Autriche, lui donnèrent fort à penser. Pour la première fois, il eut des soupçons. Il ne pouvait lui convenir de laisser plus longtemps à Vienne un agent fasciné qui n’avait point deviné le secret des variations de cette cour ; il rappela donc M. Otto, et nomma à sa place son aide de camp, le général comte de Narbonne. M. de Narbonne avait un esprit fin, plein de ressources, de dextérité et de grâce ; malheureusement, par son éducation et ses antécédens, il était complètement étranger aux délicates affaires de la diplomatie. C’est un préjugé trop répandu que, dans cette épineuse carrière, l’esprit et le tact naturel peuvent remplacer l’expérience. Dans des circonstances aussi graves, sur un terrain aussi difficile que celui de Vienne, c’était certainement une faute d’envoyer un général au lieu d’un diplomate.

Cependant les Russes faisaient chaque jour de nouveaux progrès. Partout les populations les recevaient comme des libérateurs et laissaient éclater les ressentimens longtemps contenus qu’elles nourrissaient contre nous. Partout où ne se trouvaient point nos troupes, les édits des 3, 9 et 11 février, qui appelaient aux armes toute la population, avaient reçu immédiatement leur exécution. Ces édits, accueillis comme un signal de guerre, embrasèrent tous les cœurs et armèrent tous les bras. Bientôt la Prusse n’est plus qu’un vaste camp. Tout ce qui est jeune, tout ce qui est en état de manier un fusil ou un sabre, se précipite sous les drapeaux ; les comptoirs, les administrations, les tribunaux eux-mêmes, tout se vide ; les affaires privées sont suspendues ; il n’y a plus dans toutes les âmes qu’une passion, c’est de s’armer pour combattre la France et affranchir l’Allemagne. Les premières familles donnent l’exemple des sacrifices : de jeunes seigneurs encore adolescens, conduits par leurs précepteurs, abandonnent leurs châteaux, leurs familles, et s’enrôlent comme simples soldats. Les professeurs donnent à leurs élèves l’exemple du patriotisme ; ils se mettent à leur tête, délaissent leurs chaires et volent dans les camps. Le trésor public épuisé ne peut subvenir aux frais d’équipement de tous ces jeunes soldats : le dévouement des citoyens lui vient en aide ; les riches se chargent d’équiper et d’armer ceux