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d’œufs et de légumes qui usurpent le premier plan, ce tableau arrête longtemps les regards. On ne se lasse pas de contempler tous ces personnages qui vivent, qui marchent, qui respirent, qui vont parler, dont tous les traits expriment, une piété sereine. On admire la grâce et la majesté de leurs mouvemens. Il règne dans toute cette composition une spontanéité, une abondance qui expliquent très bien pourquoi les chefs de l’école flamande et de l’école hollandaise ont choisi l’école de Venise entre toutes les écoles d’Italie. Quoique cette toile en effet porte l’empreinte du génie de Titien, on se figure sans peine Rubens ou Rembrandt traitant le même sujet dans les mêmes conditions poétiques, et attribuant aux personnages épisodiques la même importance. Il y a dans ce tableau une part faite au caprice que l’école florentine n’avait jamais acceptée, et que l’école vénitienne n’a jamais répudiée. Le voyage de Rembrandt à Venise, affirmé par quelques biographes, n’a jamais été prouvé ; mais cette lacune dans les renseignemens que la postérité pourrait désirer n’enlève rien à l’évidence de la parenté qui unit l’école hollandaise à l’école vénitienne. Quant à Rubens, nous savons qu’il a fait un long séjour en Italie, et chez lui l’imitation de l’école vénitienne n’a jamais été mise en question. Si l’on ne consultait que l’Assomptionv on aurait quelque peine à établir que les chefs de l’école flamande et de l’école hollandaise appartiennent à la même famille que Titien. L’étude de la Présentation au Temple ne laisse aucun doute à cet égard. Chez les deux premiers comme chez le dernier, nous trouvons le même amour pour les détails de la vie familière. Toutefois, si la Flandre et la Hollande ne viennent qu’après l’Italie dans l’histoire de la peinture, il ne faut pas croire que Rubens et Rembrandt soient placés dans l’estime des connaisseurs au-dessous de Titien. Cette opinion ne serait pas conforme à la vérité. Rubens et Rembrandt sont très loin assurément de posséder la même valeur que Léonard et Michel-Ange, Raphaël et Antonio Allegri : dans le domaine de l’invention, ils sont très supérieurs à Titien. Je n’ai pas la prétention de donner cette pensée comme nouvelle. La conversation des hommes du métier m’a mis sur la voie, et mes études personnelles m’ont affermi dans l’idée qu’elle m’avait suggérée. Ils avaient pour découvrir la vérité des moyens que je ne possède pas : le maniement du pinceau, l’habitude, la nécessité de traiter des sujets de nature très diverse, leur avaient révélé bien des secrets que la réflexion solitaire entrevoit à grand’peine. Ma tâche est d’éclairer d’une lumière abondante, de traduire dans une langue intelligible pour tous ce que les hommes du métier pensent depuis longtemps. Il s’agit pour moi d’affirmer, de démontrer ce qu’ils croient : tâche modeste assurément, et qui pourtant