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Slesvig a fait partie du royaume de Danemark. Tout dans cette province porte la marque d’une origine danoise. La législation du Holstein et celle du Slesvig diffèrent essentiellement, sauf en ce qui touche les lois communes à la monarchie tout entière. La législation du Holstein est l’ancien droit germanique, tandis que le Slesvig a été régi soit par des lois partielles et locales, soit par l’ancienne loi jutlandaise. Les mœurs, les usages, la manière de vivre, les costumes même, tout diffère entre les deux pays. La langue allemande est employée, il est vrai, dans la partie méridionale du Slesvig ; mais c’est un usage en quelque sorte sans profondeur, et qui céderait aux premières mesures que croirait devoir prendre le Danemark. Aujourd’hui cette idée d’un partage du Slesvig, qui a déjà échoué en 1848, réussirait certainement moins que jamais ; mais en outre quel serait le sens de cette création d’un nouvel état indépendant ? Depuis longtemps, une juste et saine politique tend à diminuer le nombre des petits états qui ne sont souverains que de nom. Le Holstein et le Lauenbourg ont à peine ensemble six cent mille habitans. La principauté nouvelle qu’ils formeraient irait se perdre dans cette foule de principautés imperceptibles de l’Allemagne. D’ailleurs les difficultés diplomatiques ne naîtraient-elles pas aussitôt ? La Prusse souscrirait sans doute à cette combinaison, car elle y trouverait bien plus de facilités pour arriver à s’emparer progressivement d’un pays qui lui donnerait des ports sur la Baltique, et dans tous les cas elle aurait dans le nouvel état un humble tributaire. Il n’en serait point de même de la Russie, qui ne livrerait pas aisément à la Prusse les moyens de devenir une puissance maritime et de lui disputer l’empire de la Baltique. De plus, par suite d’un droit de succession, la famille régnante de Russie a une certaine expectative d’héritage sur le Holstein et par voie indirecte sur le Danemark. Tant que le Holstein reste uni au Danemark, cette expectative, quoique fort problématique, a une double valeur. La Russie peut bien se prêter à toutes les stratégies de la politique allemande toutes les fois qu’il s’agit d’arrêter le développement du régime libéral dans le royaume danois ; elle ne peut favoriser une idée qui porte atteinte à ses propres prétentions, si douteuses qu’elles soient. Quant au Danemark, on ne pense pas sans doute qu’il acceptât un démembrement sans combat. Il est facile de voir en définitive que toutes ces combinaisons merveilleuses rencontrent mille difficultés qui n’existeraient point aujourd’hui, si l’aristocratie du Holstein, appuyée par l’esprit germanique, ne portait pas dans les complications actuelles l’âpre persistance d’une féodalité décidée à défendre ses privilèges, fût-ce au prix de quelque tentative de scission avec le Danemark.

Si l’on ne suivait les affaires des peuples que dans ces événemens qui se nouent ou se dénouent tous les jours et composent de fugitives annales, on ne les verrait que sous un de leurs aspects. Le monde n’agit pas seulement, il pense ; il a besoin de penser comme il a besoin de respirer, et dans ce travail universel, qui a ses momens de langueur et ses momens d’éclat, chaque génie se montre avec ses inclinations, ses préférences, ses instincts natifs. Sans parler aujourd’hui de la France, l’Angleterre, quoique moins brillante que du temps de Scott et de Byron, l’Angleterre porte dans les choses littéraires ce sentiment pratique qui donne une si singulière saveur à toutes ses œuvres intellectuelles, même à sa poésie et à ses romans. L’Allemagne, tout