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de l’abattre, qui n’était jamais plus audacieux que le lendemain d’une défaite, mais dont les lumières étaient obscurcies par la haine insensée qui l’animait contre la personne de Napoléon, et, sous ce rapport, vrai type des passions populaires de l’Allemagne à cette époque ; Gneisenau, doué de talens éminens, mais également aveuglé par son animosité contre l’empereur. Ces hommes et bien d’autres encore avaient une grande autorité morale. Ils représentèrent à Frédéric-Guillaume que, sans préjuger le parti qu’il adopterait, il importait absolument que, sans plus tarder, il dominât, en le régularisant, le soulèvement de son peuple. Le roi suivit l’avis de ses généraux ; il envoya partout des ordres secrets pour presser une levée générale. Sous prétexte de remplacer le contingent perdu, il rappela tous les anciens soldats, les amalgama avec les nouveaux, et organisa immédiatement deux corps d’armée, chacun de 20,000 hommes, l’un à Newstettin, sous les ordres du général Bulow, et l’autre en Silésie. Puis il rendit plusieurs édits qui constituaient dans leur ensemble une véritable levée en masse. Le premier, daté du 3 février, invitait tous les jeunes gens non obligés au service militaire à s’organiser en bataillons de chasseurs et à s’équiper à leurs frais. Un second édit, rendu le 9, appelait formellement sous les drapeaux tous les jeunes gens de dix-huit à vingt-quatre ans. Enfin un troisième, publié le 10, s’adressait aux hommes âgés de plus de trente et un ans, et les excitait à s’enrôler par tous les stimulans de l’honneur et du patriotisme.

Telle était, au commencement de février, la situation générale : elle était infiniment critique. La retraite du corps auxiliaire sur Cracovie livrait passage au torrent de l’invasion russe. N’étant plus contenu par aucune digue, il avait pris son cours vers l’Oder. Wintziagerode marchait sur la Silésie par la route de Kalish et de Posen, Wittgenstein sur Newstettin, pour de là inonder les Marches et s’ouvrir une issue sur Berlin et le Bas-Elbe. Dans cet état de choses, il ne nous était plus possible de conserver la position de Posen. Déjà des milliers de Cosaques voltigeaient sur notre flanc droit et l’inquiétaient. Le 10 février, une première colonne ennemie régulière, avec du canon, assaillit les avant-postes du prince Eugène à Rogasse, et bientôt l’alarme fut donnée à tout le camp. Cette attaque, dont le prince s’exagéra l’importance, le décida à lever ses cantonnemens et à aller au-devant de ses renforts ; il quitta Posen le 13, et porta son quartier-général à Meseritz, dans la direction de Francfort-sur-l’Oder. Le 3 février, le vice-roi avait prescrit formellement à Régnier et au prince Poniatowski de se porter à marches forcées sur Kalish, tout en restant, s’il était possible, en communication avec le corps autrichien ; mais les instructions données à Wintzingerode étaient précisément de marcher rapidement sur Kalish, afin d’y pré-