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par la chaîne des Cordillères. Il ne faut pas trop regretter qu’une telle satisfaction ne soit point donnée à l’orgueilleuse audace de l’esprit moderne. L’ouverture d’un canal maritime dans l’Amérique centrale aurait sans doute pour principal résultat de faciliter les échanges entre les États-Unis de l’Atlantique et ceux du Pacifique; mais ces dernières provinces, qui comptent dès aujourd’hui parmi les premières de l’Union, sont destinées à voir s’accomplir de graves modifications sociales. Là est le germe, on peut le dire, d’une nation nouvelle, dont le lien politique avec les états de l’Atlantique ne sera sans doute jamais relâché, mais qui deviendra tôt ou tard commercialement indépendante. Les vaisseaux californiens couvriront le vaste Océan-Pacifique, et iront s’approvisionner directement dans les ports de la Chine, des Indes, de Java. Quand les états de l’Atlantique cesseront d’envoyer à San-Francisco les produits encombrans, qui ne peuvent se transporter que sur navires à voiles, le plus riche tribut du canal maritime sera perdu. L’avenir des chemins de fer dans l’Amérique centrale est mieux assuré; le mouvement toujours croissant des voyageurs et des émigrans, le transport de l’or et d’une quantité considérable d’objets manufacturés ou de produits d’un prix élevé venant de l’Europe et des États-Unis, sont des sources certaines de revenu.

Malheureusement la politique des États-Unis dans les provinces de l’Amérique centrale pourrait amener des obstacles à l’accomplissement des projets nouveaux de chemins de fer interocéaniques. Les événemens dont ces contrées ont été le théâtre, le bombardement de Greytown, l’invasion du Nicaragua, l’intolérable tyrannie de l’aventurier Walker, l’appui moral qui lui a été prêté un moment par le cabinet de Washington, ont éveillé la crainte et la défiance et ranimé les étincelles de l’antique esprit national. Rien n’était plus aisé pour les Américains du Nord que d’établir lentement leur influence dans les anciennes colonies espagnoles par des moyens légitimes et pacifiques, en y ouvrant de nouvelles voies de communication, en en développant les ressources, en y apportant, avec l’esprit d’entreprise, la prospérité et la richesse. Il se peut que ces contrées dégénérées ne conservent pas assez de force et d’énergie pour résister longtemps à des attaques répétées; mais en admettant même, comme le prétendent les Américains, qu’elles doivent être entraînées tôt ou tard dans ce courant qui, parti des rives de la Nouvelle-Angleterre, s’est étendu, dans l’espace d’un demi-siècle, sur presque tout le continent, ne vaudrait-il pas mieux qu’une telle absorption, au lieu d’être le prix de la violence, devînt l’œuvre naturelle du temps, et fût amenée par une véritable communauté d’intérêts?

Une conquête ainsi accomplie serait, il est vrai, trop lente au gré