Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le doux évêque de Clermont ne m’apparaît qu’avec l’épée de l’ange exterminateur à la main.

Outre cette violence innocente, la composition, le langage, tout dans les sermons de Massillon trahit le rhéteur. La Harpe, qui le loue beaucoup trop[1], a cependant dit le mot qui caractérise justement sa manière de composer; ce mot, c’est l’amplification. L’amplification est l’éloquence des rhéteurs. Il ne faut pas la confondre avec le développement : développer est un art, amplifier n’est qu’un procédé.

Bourdaloue nous offre un beau modèle de l’art de développer. Il ne tire du sujet que les idées importantes; aucune qui soit de trop, ou qui n’ait avec l’objet du sermon le rapport du chemin au lieu où l’on va. Son ordre n’est pas cet arrangement artificiel qui fait passer les petites raisons avant les grandes, et qui prétend amorcer l’auditeur avant de le prendre. Il n’y a pas de raisons petites et qui ne soient en leur lieu les raisons capitales. Chacune a la force et la dignité d’une proposition nécessaire dans un raisonnement qui croulerait, si elle était fausse. Bourdaloue développe les choses par leur fond ; Massillon amplifie. Le premier voit son sujet, il le circonscrit et il l’épuisé; le second le cherche encore après y être entré, et, en courant un peu au hasard après ses richesses naturelles, il suscite d’autres sujets qui étouffent le principal, comme les branches gourmandes qui consument l’arbre à fruit. Il y emploie toutes les idées, petites ou grandes, et les mêmes sous des formes qui les diversifient aux dépens de l’exactitude du langage. Il y a un certain ordre, mais cet ordre est sans vie. De vaines subdivisions, pour lesquelles il a renchéri sur la subtilité de Bourdaloue[2], servent à le marquer, et sont comme des jalons plantés à l’aventure dans un terrain vague et sans limites. Cette incertitude dans le premier dessein du discours se fait sentir dans l’exécution; souvent les idées s’y pressent plutôt qu’elles ne se suivent. La plus forte vient avant la plus faible, et la même se reproduit plusieurs fois sous d’autres mots. Tantôt le discours, après avoir fait un pas en avant, recule; tantôt il tourne sur lui-même. Cependant un certain mouvement le précipite, mais c’est comme la mer dans une décoration de théâtre ; ces flots-là ne vont à aucun rivage.

  1. « Un charme d’élocution continuel, une harmonie enchanteresse, un choix de mots qui vont tous au cœur, un pathétique entraînant, douceur, dignité, grâce, sévérité, action, surprenante richesse de développemens; art de pénétrer dans les plus profonds replis du cœur humain; le Racine de la chaire et le Cicéron de la France. »
  2. Ainsi, dans le sermon sur la conception de la Vierge, il admire dans Marie « la fidélité de précaution et la fidélité de correspondance, » et dans cette seconde sorte de fidélité « une correspondance de perfection, une correspondance d’état, une Correspondance de persévérance. »