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des éclats de zèle indiscret, ou, ce qui est plus fâcheux, des figures d’éloquence. Le danger d’une morale outrée, c’est de ne pas nous convaincre des crimes dont elle nous accuse, et de nous laisser dans un doute plus favorable à la rechute qu’au repentir. En nous ôtant la force de contenter une doctrine si exigeante, elle nous en ôte jusqu’à l’envie. Je vois les mondains de la régence, au sortir de ces sermons foudroyans, souriant des duretés de ce prêtre si doux, et pour ne pas se trouver aussi coupables qu’il le voulait, se trouvant moins en faute qu’ils n’étaient. Tel est l’effet de toute morale exagérée. La morale, même chrétienne, ne doit pas nous demander plus que nous ne pouvons, sous peine d’obtenir moins que nous ne devons. Ce qu’on dit de l’excès du droit, qui n’est que la suprême injustice, est vrai de la morale outrée ; elle peut corrompre une âme faible en lui rendant l’innocence impossible.

N’est-il pas singulier que les grands docteurs devanciers de Massillon aient été plus doux que lui pour le pécheur ? Combien qui croient le contraire, et à qui Massillon paraît à la fois un théologien plus accessible et un moraliste plus indulgent ? Il ne faut pas cependant que ce nom aimable et populaire fasse tort à Bossuet ou à Bourdaloue : un titre éminent à ajouter à tous leurs titres, c’est que leur morale est proportionnée aux forces humaines. L’innocence à laquelle ils nous invitent n’est interdite à personne. Ils pensent moins à nous épouvanter qu’à nous tenir en inquiétude et en défiance sur nous-mêmes, et l’honnête homme, ne le fût-il que selon le monde, ne trouve dans leurs prescriptions rien que sa conscience ne lui ait conseillé. Bossuet et Bourdaloue se sentent si bien aidés par cette voix qui parle au fond de nous, qu’ils insistent bien plus, le premier surtout, sur la sanction de la morale, c’est-à-dire la foi, que sur le détail des prescriptions. Bossuet semble presque plus jaloux pour la foi que pour l’innocence. En tout cas, il compte plus sur la foi, qui commande à la volonté, que sur la morale, qui l’exhorte.

Ces exagérations du moraliste chez Massillon ne sont pas seulement une sorte de compensation de ce qu’il retranchait au dogme ; je crains d’y voir une habitude de rhéteur. Le rhéteur n’a pas la véritable invention qui consiste dans les raisons moyennes ; il veut frapper fort, et il cherche dans les choses outrées la force que l’orateur trouve dans les choses justes. S’il est homme de bien et qu’il prêche la morale, je m’attends à ce qu’il soit terrible. Il accablera les gens de son innocence, il aura des haines de tête contre les vices dont sa pureté l’a préservé, et il s’en fera des images d’autant plus affreuses, qu’il ne les aura pas même connus par la tentation. Il insultera les pécheurs, il leur jettera la malédiction et l’anathème ; la chaire chrétienne retentira d’expressions violentes. Tel est souvent Massillon ;