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pensait-il, en affectant cette singulière préférence, qu’à donner un gage plus significatif de son tardif retour aux croyances chrétiennes.

Les sermons sur les mystères sont en effet la partie la plus faible de l’œuvre de Bourdaloue. Sa dialectique sans enthousiasme ne convainc pas et vous laisse froids. Il ne s’agit plus là d’avoir raison; il faut toucher, étonner, ou si l’on raisonne, que ce soit avec la pensée de laisser là au besoin le raisonnement, comme trop grossier pour des vérités de l’ordre divin, et d’affirmer ce qu’on ne peut pas prouver. Pascal, qui avait appris à trop estimer le raisonnement en le voyant invincible dans les sciences, Pascal, qui raisonne avec Dieu même, semble abaisser à la fois la matière en la traitant comme un problème de géométrie, et la raison par l’impuissance du raisonnement; mais du moins son sublime effort intéresse, et c’est un grand spectacle que cette raison qui ne veut pas avouer que l’incompréhensible lui est interdit. Les efforts de Bourdaloue sentent l’école plutôt que l’angoisse du génie, et tout son discours reste au-dessous du sujet. Attaquer la raison sans la vaincre, sans l’étonner du moins, comme fait Bossuet, sans l’épouvanter, comme fait Pascal, c’est risquer de la rendre indifférente ou d’ajouter à sa superbe.

Bourdaloue n’use pas même de preuves qui lui soient propres; il ne quitte point l’école d’un pas, et il n’emploie que les raisonnemens consacrés. Et pourtant telle est la simplicité et la profondeur de sa foi, qu’à la longue on se sent touché de respect. Au lieu d’un avocat qui veut nous donner à croire ce qu’il ne croit pas, ou d’un rhéteur qui, dans la cause de la vérité, n’oublie pas les affaires de son esprit, c’est un prêtre qui n’a que la foi du troupeau, un docteur qui a conservé la docilité du disciple. Il n’est ni agité du désir de trop prouver, ni inquiet de prouver trop peu. Si son âme fut jamais troublée par les difficultés de la foi, il n’en reste pas de traces. Il n’a pas à se persuader à lui-même ce qu’il va enseigner; il transmet la doctrine telle qu’il l’a reçue, en y ajoutant l’autorité de la soumission plutôt que la nouveauté de motifs personnels. Et si nous sommes éblouis de tout ce que Bossuet met de génie dans l’explication des mystères, nous finissons par être tout au moins édifiés de voir Bourdaloue employer une raison si droite et si ferme à transmettre sur cette partie de la religion la tradition de l’église, en n’y apportant en propre que la lumière de la méthode et l’accent de la foi.

Il ne faut pas d’ailleurs chercher dans les sermons de Bourdaloue ces vives peintures des personnes divines dont Bossuet anime l’explication des dogmes. Il semble qu’il n’ait pas osé élever ses regards jusqu’à elles, et qu’il n’ait pas cru permis au chrétien de s’en faire des images trop sensibles. Bossuet conçoit Dieu comme le peuple, sous les traits d’une personne. Sur la foi de ce qu’ont dit les livres