Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oncles d’Amérique, à l’état de variété regrettable et perdue de l’espèce humaine, et n’existe plus que dans les souvenirs de quelques vieillards ou dans l’imagination des poètes. Les temps sont bien changés depuis le jour où il suffisait de venir secouer pendant quelques années le fameux golden tree pour s’en retourner ensuite avec une fortune princière en Europe. Tant malmené a-t-il été ce pauvre arbre aux roupies, que tout en est disparu, même les racines! Telle est sur les places de l’Inde la concurrence dans les professions libérales, telles sont les dépenses énormes que tout établissement européen entraîne avec lui, que, médecin, avocat, planteur ou négociant, bien heureux et bien habile est celui qui, débutant sans ressources personnelles étendues, parvient, au bout de vingt ans de travaux, à conquérir une modeste indépendance.

Il ne faut pas toutefois trop assombrir ce tableau et méconnaître l’importance des ressources que les domaines de l’Inde présentent, en dehors des services publics, aux classes moyennes de la Grande-Bretagne. Si, dans les possessions de l’honorable compagnie, il est difficile aujourd’hui de faire fortune, l’on y gagne sans trop de peine une existence comfortable. C’est à plusieurs milliers qu’il faudrait évaluer le nombre d’Anglais qui, labourant le champ industriel de l’Inde, y trouvent une récolte de trois repas par jour, vaste maison, équipage, nombreuse domesticité, toutes nécessités premières de la vie en ces contrées lointaines, que, comme le plus riche, le plus pauvre n’hésite pas à se procurer, au risque d’avoir plus d’une fois en sa vie recours au bénéfice de l’insolvent act. Qui a vu de près cette bizarre communauté anglo-indienne, où, du haut au bas de l’échelle sociale, tout membre parvient, Dieu sait comment, mais parvient enfin to live like a gentleman; qui a vu de près la communauté anglo-indienne, disons-nous, classera les professions industrielles et commerciales de l’Inde parmi les débouchés les plus importans que l’Angleterre, en mère prévoyante, ait su ouvrir à ses hommes d’éducation et d’énergie dépourvus de fortune comme de patronage, et réduits à ne devoir qu’à leurs travaux leur pain de chaque jour. Du cap Comorin aux chaînes de l’Himalaya, une noble arène s’ouvre à l’esprit d’entreprises. Là peuvent se dépenser, au profit de la grandeur et de la puissance de la métropole, quelquefois même avec des succès réels, des talens aventureux, d’ambitieux appétits, qui, dans des pays que la Providence n’a pas doués d’une soupape de sûreté pareille à l’Inde, se consument en stériles agitations, ou en révolutions plus stériles encore. Malheureusement, nous l’avons dit, peu d’élus à peau blanche parviennent à saisir au passage l’inconstante déesse, car la concurrence des hommes du pays devient de jour en jour plus redoutable pour l’Européen, et l’on peut avancer, sans exa-