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utiles de la vie laborieuse du planteur. En fouillant avec soin les annales du district de Mofussil pendant ces dernières années, on arriverait sans doute à ramasser un petit nombre de faits horribles on bizarres, à l’aide desquels il serait très facile de construire une sorte d’Uncle’s Tom Cabin indien qui ferait couler les larmes des femmes sensibles des cinq parties du monde. Fondé sur l’exception, ce conte fait à plaisir ne calomnierait pas moins les planteurs du Bengale que le récit américain n’a calomnié, à quelques égards, les planteurs de la Louisiane, car le voyageur qui a parcouru les plantations du Mofussil doit attester, pour rendre hommage à la vérité, que s’il a souvent trouvé près de la maison du planteur un hôpital et une école, ses regards ont toujours cherché en vain les oubliettes et la salle de tortures.

L’indigo arrive des plantations à Calcutta de novembre aux premiers jours de mars. Pendant ces cinq mois, plusieurs ventes publiques ont lieu chaque semaine aux deux marts[1] de la ville. L’aspect de ces ventes publiques ne manque pas d’originalité. Sous de vastes hangars, les caisses rangées avec ordre exposent aux yeux des chalands des milliers de petits pains bleus d’un aspect uniforme pour le vulgaire, mais où l’œil du connaisseur distingue bien vite les belles marques du Jessore des produits vulgaires du Tirhoot. Un public bigarré d’Anglais, de Français, d’Allemands, d’Américains, d’Arabes, de Chinois, anxieux comme des pontes autour d’une table de trente et quarante, suit, le crayon à la main, la parole de l’encanteur (commissaire préposé à l’encan). Les ventes publiques d’indigo de Calcutta sont sans doute de toutes les ventes publiques du monde celles où il se fait le plus d’affaires dans le plus court espace de temps, et il arrive souvent dans la saison qu’en une séance de deux heures, l’encanteur ait adjugé pour 2 et 300,000 livres sterling de marchandises.

La fabrication de l’indigo dans l’Inde est, on le voit, tout entière entre les mains des Européens, et quoique les natifs travaillent à beaucoup meilleur marché, leurs efforts pour soutenir la concurrence européenne dans cette branche d’industrie n’ont point été couronnés jusqu’ici de succès. En effet, l’indigo natif, toujours de qualité inférieure et emballé avec peu de soin, se vend à 20 pour 100 au-dessous environ des indigos moyens des factoreries européennes.

Lorsque, vers la fin du dernier siècle, la compagnie des Indes entreprit de régénérer dans ses domaines l’industrie de l’indigo, les ressources de l’industrie jumelle des sucres n’échappèrent point à l’attention de la cour des directeurs, et ils tentèrent, par des primes et des contrats avantageux, de favoriser l’introduction des procédés

  1. On désigne ainsi les établissemens consacrés aux ventes d’indigo.