Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attristé et trop fortement saisi par le spectacle des souffrances qu’il avait sous les yeux pour apprécier sainement la situation générale. C’était au roi de Naples à dominer les impressions isolées des chefs de corps et à subordonner leurs avis aux vues de l’ensemble. Il y avait en ce moment un intérêt supérieur qui devait dominer tous les autres : c’était de conserver le plus longtemps possible la ligne de la Vistule. De tous côtés, on nous signalait la haine du peuple prussien contre notre drapeau, les mauvaises dispositions des autorités et les symptômes précurseurs d’un soulèvement général. Dans une situation aussi critique, quel intérêt n’y avait-il pas à nous maintenir en forces sur la Vistule en appuyant Schwarzenberg, ne fût-ce qu’afin de lui enlever tout prétexte pour évacuer le grand-duché ? Macdonald poussait Murat dans une voie détestable, lorsque, peignant à cet esprit mobile et faible les douleurs de l’armée, il l’excitait à enfermer toutes les troupes dans les places fortes. La raison commandait au contraire de n’y laisser que les bataillons démoralisés ou trop fatigués, et de conserver pour tenir la campagne tout ce qui était sain, jeune et vigoureux. Au lieu d’envisager de sang-froid sa situation, périlleuse sans doute, non pourtant désespérée, le roi de Naples passa tout à coup de l’extrême audace à l’extrême découragement : il jeta pêle-mêle dans les murs de Dantzig toutes les troupes de Macdonald, les bataillons d’élite de Grandjean et les jeunes soldats de Heudelet, aussi bien que les bandes indisciplinées de Marchand. Il annihila ainsi les seules forces capables de tenir la campagne, et, abandonnant à l’ennemi tout le pays jusqu’à la Basse-Vistule, il transporta son quartier-général à Posen, ordonna au vice-roi, aux ducs d’Istrie, de Trévise et de Bell une de venir l’y rejoindre avec tout leur monde, aux princes de la Moskowa et d’Eckmühl de se rendre à Custrin. Prendre de telles mesures en face d’un ennemi très entreprenant, bien que très fatigué, et d’un auxiliaire douteux peut-être, mais en tout cas timoré, c’était tout compromettre à la fois et notre situation militaire et nos alliances. Cet homme, d’un héroïsme antique, toujours prêt à braver la mort pour mériter la gloire, irrésistible lorsqu’à la tête de ses escadrons il enfonçait les carrés ennemis, était étranger aux détails d’une grande administration militaire. Ce fut une faute de lui avoir laissé un fardeau qu’il ne pouvait porter. Humilié de voir ses ordres enfreints un jour par Macdonald, un autre par Davoust ou par Schwarzenberg, manquant de l’autorité nécessaire pour dominer toutes ces volontés divergentes et jugeant la situation perdue, cédant peut-être aussi à une préoccupation secrète, celle de sauver sa couronne dans ce naufrage général. Murat, arrivé à Posen, signifia le 15 au prince Berthier, sous prétexte de maladie, sa résolution de déposer le commandement et