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de la chicane, sans rivale heureusement au monde dans l’art du faux et du parjure; avec des questions sans cesse renaissantes de limites mal définies, les changemens bizarres amenés par l’inondation de chaque année dans la configuration des terrains; en l’absence de toute autorité supérieure administrative ou légale, doit-on s’étonner que l’industrie de l’indigo, à ses débuts dans le Bengale, soit pleine d’incidens étranges et romanesques qui semblent empruntés aux histoires du moyen âge ou des boucaniers? Véritable seigneur féodal, à la cotte de mailles et au casque près, le planteur des premiers jours s’entoure d’une bande de coupe-jarrets qu’il mène en personne, ou qu’il envoie, sous la conduite de quelque âme damnée, guerroyer contre ses voisins ou ses vassaux. Ensemencemens et récoltes faits par la violence, factoreries envahies et ruinées, rencontres sanglantes entre parties adverses, longue serait la liste des méfaits que la culture de l’indigo provoqua en ces contrées lointaines. Ces guerres intestines prirent de telles proportions, que le conseil de l’Inde pensa sérieusement à promulguer une loi draconienne, en vertu de laquelle quiconque aurait profité d’une expédition à main armée serait puni d’une amende et de six mois de prison. Une anecdote de l’authenticité la mieux établie donnera une idée assez exacte de ce singulier état de choses.

Un planteur d’indigo s’était installé dans un district éloigné, où son exploitation avait donné des résultats si favorables, qu’un autre planteur, attiré par le succès du premier occupant, vint élever dans le voisinage les bâtimens d’une usine rivale. Le premier planteur, gêné par cette concurrence, fit d’abord prier civilement son voisin de déguerpir; puis, comme celui-ci ne tenait aucun compte de ces avertissemens préliminaires, il essaya de le ruiner en faisant porter contre lui d’innombrables plaintes au magistrat. Ces machinations étant demeurées sans résultats, le premier planteur résolut tout simplement de ruiner de fond en comble la factorerie nouvelle. La police eut connaissance du complot, mais des présens ou des menaces prévinrent son intervention, et par une nuit sombre une bande de trois cents hommes munis de pelles, pioches et paniers s’avança vers l’établissement condamné. Le propriétaire et ses domestiques furent saisis et garrottés, puis on commença avec activité l’œuvre de destruction. La troupe des assaillans était divisée en trois corps : le premier rassemblait les objets combustibles et y mettait le feu; le deuxième, à la lumière de l’incendie, démolissait les bâtimens; le troisième enfin portait les matériaux dans un profond canal qui passait à quelque distance de l’établissement. Au jour, les bandits se retirèrent avec leurs prisonniers, qu’ils conduisirent chez le premier planteur, qui devait les garder en dépôt jusqu’à ce que le bruit de l’expédition fût apaisé. Cependant, à la faveur des ténèbres, un domestique de la vic-