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mière ligne du travail le plus simple et le plus brutal, celui du portefaix? L’on estime qu’il faut trois coolies pour faire l’ouvrage d’un portefaix européen. Pour remplacer un matelot anglais, un capitaine de navire ne prendra jamais moins de quatre lascars. Cette infériorité du travail natif comparé au travail européen devient bien plus sensible encore lorsque l’intelligence de l’ouvrier doit être tout aussi bien mise en jeu que ses forces physiques. On se rendra compte de l’inégalité intellectuelle qui existe entre les ouvriers européens et les ouvriers natifs de certaines professions par la différence des salaires qu’ils reçoivent à Calcutta. Nous prendrons pour exemple les menuisiers, les charpentiers, les ébénistes. A Calcutta, un ouvrier natif exerçant un de ces trois métiers gagne de 3 liv. st. 10 sh. à 6 liv. sterl. par an; le salaire d’un ouvrier chinois s’élève à 48 liv. st., et celui de l’Européen à environ 100 liv. st. Il ne faudrait pas sans doute prétendre tirer de ces chiffres des conclusions d’une rigueur absolue. Dans le salaire de l’Européen, il doit lui être non-seulement tenu compte de son habileté et de son énergie supérieures, mais encore des inconvéniens du climat, des ennuis de l’exil. Ce qui reste néanmoins hors de doute, et cela nous suffit, c’est que les forces productives de l’homme de l’Inde ne sauraient être comparées aux forces productives de l’homme de l’Europe. Dans toutes les données économiques qui servent à évaluer la richesse et la production d’un pays, on peut voir d’ailleurs le même contraste se reproduire. S’agit-il du revenu de la terre, l’impôt foncier, qui le représente dans l’Inde, est d’environ 14 millions sterl., tandis qu’en Angleterre, avec une population six fois inférieure, on peut l’évaluer à 40 millions sterl. Enfin, en commençant par établir que les taxes de l’Inde ont atteint à peu près leur maximum, que l’Indien paie au trésor public tout ce qu’il est raisonnablement en état de payer, on trouve que le total du budget des recettes de l’empire de l’Inde, 26 millions sterl., réparti sur plus de cent vingt millions de sujets, donne une moyenne par tête de moins de 5 shillings, tandis que chaque individu en Angleterre paie annuellement à l’état 36 shillings. Il serait hors de propos de pousser plus loin cette argumentation. Vouloir coordonner les données du problème en proportions mathématiques conduirait sans contredit à des erreurs grossières, et il suffira de résumer ces aperçus en disant que le domaine de l’Inde, avec son immense population, ses territoires si bien doués par la nature, son commerce gigantesque et cependant encore au berceau, l’Inde anglaise, que tout Européen se représente comme un monde de merveilles aux richesses Inépuisables, la terre classique du golden tree (l’arbre aux roupies) en un mot, est un pays inférieur en richesse et en production aux pays les plus pauvres et les plus stériles de l’Europe.