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lons du général Heudelet, un certain nombre de bataillons de marche arrivés récemment de France, les escadrons du duc d’Istrie, du général Cavaignac et du colonel Farine, en tout environ 21,000 hommes d’infanterie, 1,500 chevaux et 55 pièces de canon,

La division Heudelet, ainsi que la brigade Cavaignac, supérieurement armées et équipées, avaient la plus belle apparence ; mais elles n’étaient composées que de très jeunes conscrits. Les soldats de Marchand, débris de la division Loison, échappés comme par miracle aux calamités de la retraite, revenaient avec des cœurs pervertis par l’excès des souffrances. Indisciplinés, pillards, tenant les propos les plus dissolvans, ils avaient abjuré toute vertu militaire, et étaient devenus la honte de l’armée, le fléau des campagnes qu’ils traversaient[1]. À leur approche, les paysans désertaient leurs chaumières, fuyaient avec leurs chevaux et leurs bestiaux dans les bois, et nous laissaient en proie aux plus cruelles privations. La seule partie saine, résistante, disciplinée, de l’armée, était la division du général Grandjean ; mais, obligée depuis un mois à faire des marches forcées par un froid de 25 degrés, à combattre tous les jours, elle avait perdu plus du tiers de son effectif. Ses habillemens et sa chaussure étaient en lambeaux, et ses armes ne fonctionnaient plus. Wittgenstein n’avait guère, pour le moment, plus d’infanterie que Macdonald ; seulement il avait une cavalerie beaucoup plus nombreuse et plus de canons. Chaque jour il recevait des renforts ; ses troupes étaient endurcies par l’âpreté de leur climat, soutenues par le succès, encouragées par les sympathies des habitans, qu’elles savaient se concilier en observant une discipline sévère, en se montrant partout polies et pleines d’égards, et en payant tout comptant. Aussi vivaient-elles dans l’abondance.

Macdonald n’admettait pas que, dans un tel état de choses, il fût possible de livrer bataille. Il écrivait le 9 au major-général qu’on n’arriverait à d’autre résultat que de retarder de quelques heures la marche de l’ennemi et qu’on perdrait inutilement des braves. Il jugeait que l’armée ne pouvait plus tenir la campagne, et il demandait qu’on lui assurât des lieux de refuge dans les places fortes. « Là seulement, écrivait-il, il sera possible de donner du repos aux troupes, de les réparer et de les ramener au sentiment de l’ordre et de la discipline. » Le 10 janvier, il écrivait encore de Fraumbourg : « Nous sommes sans vivres, sans fourrage et sans moyens d’en envoyer chercher. Les chevaux, soit de la cavalerie, soit de l’artillerie, sont exténués de fatigue et de faim ; il faut s’attendre qu’au moindre échec nous perdrons artillerie et bagages. »

Ces lettres étaient navrantes ; elles étaient l’œuvre d’un esprit

  1. Dépêche du duc de Tarente, 8 janvier. (Dépôt de la guerre.)