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où ils ne peuvent être multipliés par l’imprimerie ; mais les copistes tenaient lieu d’imprimeurs. Pline le Jeune parle d’un livre tiré à mille exemplaires, et qui avait été expédié dans toute l’Italie et toutes les provinces. Le même auteur s’applaudit que ses ouvrages se vendent à Lyon. Je crois même que les anciens connaissaient les droits d’auteur. Sénèque se pose quelque part cette question : « Les œuvres de Cicéron appartiennent-elles à Cicéron, qui les a composées, ou à Dorus, qui les a achetées ? » Plus on étudie la société romaine, plus on trouve que dans les petites choses comme dans les grandes elle ressemblait assez souvent à la nôtre.

Du reste, il était un peu téméraire aux auteurs de faire vendre leurs œuvres dans ce quartier, car près du temple de la Paix étaient les magasins de poivre, et ils devaient parfois frémir en se rappelant un certain vers d’Horace sur les méchans écrivains dont les œuvres pouvaient servir à envelopper du poivre :

Et piper et quidquid chartis amicitur ineptis.

Mais retournons au temple de la Paix, d’où nous a un peu écartés Martial en nous conduisant chez ses libraires. Si nous n’avons pu découvrir qu’un débris incertain du grand édifice bâti par Vespasien, à quelques pas de là, à l’endroit où la voie Sacrée était le plus élevée, in summâ viâ, sur un petit tertre, dernière trace, dit-on, de la Velia de Collatin, nous trouverons, mieux conservé que le temple de la Paix et restauré avec une scrupuleuse exactitude, le charmant arc de Titus, et nous passerons ainsi naturellement de Vespasien à son fils.

Cet arc-de-triomphe fut élevé en l’honneur de Titus à l’occasion de la prise sanglante de Jérusalem. On y voit encore des bas-reliefs d’un très beau travail. Dans l’un, qui représente le triomphe, on reconnaît, porté par les soldats, parmi les dépouilles du temple, le chandelier aux sept branches. On prétend que les Juifs encore aujourd’hui évitent de passer sous l’arc de Titus. Ils étaient déjà nombreux à Rome au temps de cet empereur, exerçant de petits métiers, échangeant par exemple des allumettes contre des verres cassés, et vivant sur la rive droite du Tibre. Le Transtevère était leur ghetto. C’est probablement parmi eux que d’abord se recruta surtout le christianisme à Rome. Aussi est-ce dans le quartier habité par les Juifs qu’apparaît la première assemblée publique des chrétiens, autorisée par Alexandre Sévère, au lieu où s’élève aujourd’hui la vieille et imposante basilique de Santa-Maria in Trastevere. On sait que les païens confondaient les premiers chrétiens avec les Juifs, et je crois possible que la pauvre Juive de Juvénal, qui, en mendiant, murmure en secret aux oreilles d’une dame romaine quelque chose sur la loi des Juifs, pourrait bien être une chrétienne, car rien n’était