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tein, qui lui déclara qu’il ne lui appartenait pas de préjuger les dispositions de l’empereur Alexandre, que quant à lui personnellement, il ne pouvait ni autoriser le corps commandé par le général York à se remettre à la disposition du généralissime français, ni laisser le colonel se rendre auprès du général York.

La nouvelle de l’événement de Taurogen arriva aux Tuileries dans la nuit du 9 au 10 janvier ; elle y causa plus que de l’indignation. L’empereur ne s’abusa ni sur le caractère ni sur la portée de ce terrible événement ; il comprit que la trahison d’York n’était pas l’acte isolé d’un général mécontent ni d’un fanatique, mais le premier symptôme d’un ébranlement général, un appel fait à tous les cœurs ulcérés des Prussiens, un signal de soulèvement de tous les peuples germaniques contre son alliance et sa politique. Sans s’arrêter plus qu’il ne convenait aux protestations d’un souverain qui cédait toujours sous la pression des circonstances, il s’appliqua avec plus d’ardeur et d’activité que jamais à organiser les élémens d’une nouvelle armée, et, proportionnant la grandeur de ses mesures à la grandeur du péril, il résolut de demander à la France toute la plénitude de son concours, tous les sacrifices qu’après vingt ans d’épreuves il lui était possible de faire.


II.

Dans l’état de détresse où l’avait placé la destruction de son armée, l’œuvre la plus difficile que pût entreprendre Napoléon était d’en créer une nouvelle assez nombreuse et assez fortement organisée pour faire face à tous les dangers de la situation. Il s’agissait de refaire à neuf tous les services. Il fallait reporter à leur effectif de guerre cinq cents bataillons d’infanterie et deux cent cinquante-cinq escadrons, qui avaient tout perdu, hommes, armes, chevaux et matériel ; réorganiser l’artillerie, les charrois, les ambulances et les approvisionnemens ; équiper, armer et instruire ces milliers de jeunes soldats qui, de tous les points de l’empire, allaient être appelés sous les drapeaux. Il fallait demander ce suprême effort à une nation épuisée par vingt années de guerre, et, pour l’accomplir. Napoléon n’avait que trois mois. Soutenu par le sentiment des périls qui menaçaient son pays et par ce grand cœur qui animait toutes ses actions, il s’y appliqua, aussitôt après son retour de Russie, avec une ardeur passionnée, et jamais peut-être son génie administratif ne déploya une activité plus féconde et plus puissante.

Pour opérer la réorganisation de ses bataillons d’infanterie et les porter à l’effectif de 400,000 hommes, il prit d’abord les conscrits levés depuis plusieurs mois et déjà instruits de 1813, ainsi que les quatre-vingt-huit cohortes de la garde civique, créées par le sénatus--