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de leur unité nationale. L’abbé Gioberti dénonce l’existence et les méfaits de cet esprit dans tous les états italiens sans en excepter un seul, en Piémont, en Lombardie, en Toscane, dans la Romagne, dans les Deux-Siciles, et l’énergie seule du patriotisme qu’il met à le combattre suffirait à révéler quelle résistance invincible il oppose encore à la reconstitution, sous quelque forme que ce soit, de la nationalité Italienne, M. Ranalli, dans plusieurs endroits de ses récits, n’est ni moins explicite, ni moins instructif que l’abbé Gioberti sur ce point ; il confirme même par des détails tristement précieux les assertions générales de l’auteur du Rinnovamento. Parlant par exemple de la révolution qu’on vit éclater en 1848 dans les duchés de Parme et de Modène à la suite des événemens de Milan, il raconte que cette révolution ne fut pas plus tôt consommée, que Reggio refusa de reconnaître le gouvernement provisoire de Modène, et Plaisance celui de Parme. Il fallut plus d’un mois de négociations diplomatiques pour arriver non pas à les réunir, mais à les faire consentir à marcher de concert. Et que d’autres preuves grotesques, si elles n’étaient déplorables, de ce funeste esprit de morcellement l’Italie n’a-t-elle pas données à cette époque ! Qui ne se souvient de la séparation momentanée de Gènes et de Turin, de l’effroi des propriétaires de Turin et de l’humeur du reste des Piémontais à l’idée que Charles-Albert, annexant la Lombardie à ses états, pourrait en transférer la capitale à Milan, de la rupture de la Sicile et de Naples, de la jalousie de Milan et de Venise ?… Tout ce que le moyen âge avait vu en ce genre de plus déplorable fut alors égalé, sinon surpassé. L’Europe, qui, attentive à la marche des Piémontais sur l’Adige, s’attendait à voir de jour en jour leur armée grossie de tout ce qui dans le reste de la péninsule était en état de porter les armes, et qui cherchait avidement, dans chaque feuille ou dans chaque lettre arrivant d’Italie, des nouvelles du progrès de cette grande insurrection nationale, — l’Europe fut confondue de surprise : il n’était question dans ces feuilles ou dans ces lettres que des conférences tenues à Milan, à Florence ou à Rome sur la question de savoir si l’Italie indépendante formerait un seul état ou plusieurs, si son gouvernement serait républicain ou monarchique, si Turin céderait le pas à Milan, ou Milan à Turin, si le royaume lombardo-vénitien, que Charles-Albert se donnait tant de peine à affranchir de l’étranger, formerait encore, le lendemain de sa victoire, un seul état du Tessin à l’Adriatique, ou s’il n’en formerait pas trois ou quatre ; que dis-je ? si le Piémont lui-même ne devrait pas, pour prix de sa vaillance, être démembré, et s’il ne conviendrait pas de rétablir aux dépens de son territoire l’antique république de Gênes ! Lamentables souvenirs ! Puissent du moins les Italiens, en les lisant aujourd’hui retracés par la plume des plus désintéressés et des moins.