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diat et sans conditions des prisonniers neuchâtelois, la Prusse a rompu avec le gouvernement de Berne ; elle se considère comme déliée des engagemens qu’elle avait pris avec les puissances signataires du protocole de Londres, et qui consistaient à ne point recourir à la coërcition. Elle fait plus, elle arme, elle lève ses contingens, mobilise la landwehr, et prend toutes les dispositions qui précèdent une opération militaire. De son côté, la Suisse reste ferme et est loin de se laisser intimider. Aux préparatifs militaires de la Prusse elle répond par des préparatifs semblables ; elle se met en état de défense, lève des troupes, forme ses divisions, fait des emprunts et attend les événemens. Le conseil fédéral, qui exerce le pouvoir exécutif, vient de convoquer l’assemblée fédérale, composée du conseil des états et du conseil national, pour lui exposer la situation des choses après les négociations infructueuses qui ont eu lieu, et lui proposer les mesures nécessitées par les circonstances. On peut ajouter qu’en ce moment en Suisse, à travers toutes les différences d’opinions, il y a un sentiment patriotique prononcé qui est la première force défensive du pays.

Le fait clair, patent, c’est donc cette situation respective de deux adversaires prêts à en venir aux mains. Faut-il croire cependant à un conflit inévitable ? N’est-ce point le moment d’une décisive et efficace intervention des puissances intéressées à la paix, alliées de la Prusse, amies de la Suisse ? On sait quel a été l’écueil permanent des négociations activement poursuivies, depuis trois mois. La Prusse réclamait la mise en liberté immédiate et sans conditions des insurgés royalistes de Neuchâtel avant de se prêter à un arrangement sur la situation définitive de la principauté. La Suisse à son tour ne consentait à élargir ses prisonniers que si la Prusse reconnaissait l’indépendance de Neuchâtel. N’y a-t-il donc aucun moyen de se frayer un chemin à travers ces prétentions opposées pour arriver à une solution sérieuse et équitable ? La Suisse aurait pu sans doute avoir plus d’égards pour ce que le roi Frédéric-Guillaume considérait comme une question de dignité, et elle aurait dû mettre plus de bon vouloir à désintéresser cette dignité lorsqu’elle devait avoir le bénéfice principal d’un arrangement définitif. Il eût été peut-être d’une plus habile politique de moins décourager les intentions conciliatrices de la France, et de ne point réclamer tant de sûretés, parce que le seul fait de l’intervention de la France devenait une garantie suffisante, quoique non explicitement formulée, contre toute revendication armée sur Neuchâtel. La France se liait par la médiation, comme elle l’est déjà par tous ses intérêts politiques, par ses rapports traditionnels avec la Suisse. Mais enfin sur quel motif sérieux et irrésistible se fonderait la Prusse pour aller entreprendre une guerre qui pourrait créer de nouveaux périls en Europe ? Nous le disions récemment, il y a pour la Prusse un droit consacré par les traités de Vienne. Il faut bien s’entendre cependant, c’est un droit assez abstrait, nominal en quelque sorte, et qui ne détruit pas le caractère de canton suisse attribué à Neuchâtel par les mêmes traités. Que le roi Frédéric-Guillaume, mû par une juste susceptibilité, tienne à abdiquer convenablement, et sans paraître céder à la pression d’un fait accompli, des prérogatives de souveraineté plus honorifiques que réelles, on le conçoit ; mais il ne peut y avoir rien de plus. La Prusse, on n’en peut disconvenir, a fait preuve d’une exemplaire modération et d’inclinations toutes pacifiques pendant la der-