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mois à un sujet qui me promettait une grande découverte; elle m’échappe aujourd’hui ! — Consolez-vous, lui dis-je,

Écoutez ce récit avant que je réponde.


— Ah ! me dit mon sérieux et très lettré confrère, vous allez me réciter une fable, le Meunier, son fils et l’âne. — Pas du tout, il s’agit d’une histoire de pécheur persévérant comme on admet qu’ils le sont tous. — Voyons !

« J’étais en 1829 à Slough, en vue des tours normandes du vaste château royal de Windsor, chez le fils du grand Herschel, qui n’a point dégénéré de l’illustration de son père. La vénérable veuve de William Herschel présidait encore à la soirée, et tandis que son fils et moi nous dessinions sur un papier, en discutant vivement toutes les complications de mouvement que doit éprouver une molécule matérielle pour donner naissance dans l’éther à toutes les sortes de lumière et de chaleur, des éclats de rire s’élevèrent du sein de la famille, occupée moins sérieusement que nous à la lecture du Court-Journal. Voici l’anecdote. Un amateur dépêche arrive dans un canton où se trouve une magnifique pièce d’eau, un vrai lac, qu’il juge très poissonneux. Il est confirmé dans son opinion par la présence d’un pêcheur qui y reste depuis l’aube jusqu’au coucher du soleil. Cependant le nouvel arrivant perd son temps et son art d’amorcer pendant toute la journée. La même chose se renouvelle le jour suivant, et il convoite la place choisie par le pêcheur de la veille, qui ce jour-là n’avait pas été moins assidu à son poste qu’à l’ordinaire. Il lui faut cette place à tout prix. Le lendemain donc il arrive avant le jour, l’autre y est déjà. Notre homme, comme les jours précédens, jette sa ligne sans succès. Piqué au vif, il prend une résolution héroïque. Il fait des provisions convenables en tout genre, et sitôt que son rival a quitté l’endroit privilégié, il s’y installe et y passe la nuit. Le matin arrive, et l’autre pêcheur aussi; mais la place étant occupée, celui-ci va pêcher plus loin. Cependant l’usurpateur n’en est pas plus heureux pour cela. Le soir venu, en quittant sa position enviée, il va trouver l’autre et lui dit humblement : Je conviens que je me suis rendu coupable d’un mauvais procédé à votre égard; mais vous me le pardonnerez sans doute quand vous saurez que, malgré toute l’expérience que je crois posséder dans notre partie et surtout pour amorcer, non-seulement je n’ai rien pris aujourd’hui, mais je n’ai pas même vu un seul poisson ! — Cela ne me surprend nullement, lui répond gravement son interlocuteur, car voilà trois mois que je viens ici, moi, tous les jours, et je n’ai pas encore vu mordre une seule fois! — Permettez-moi, dis-je à mon confrère, de faire, comme dans les Mille et une Nuits, l’application de mon conte. Vous vous plaignez d’avoir perdu quelques mois dans une recherche