Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

belle main protectrice en s’agenouillant sur un genou. Jusqu’à la dernière heure de sa vie, Esmond se rappellera les regards et la voix de la dame, les bagues de ses belles mains, jusqu’au parfum de sa robe, le rayonnement de ses yeux éclairés par la bonté et la surprise, un sourire épanoui sur ses lèvres, et le soleil faisant autour de ses cheveux une auréole d’or... Il semblait, dans la pensée de l’enfant, qu’il y eût dans chaque geste et dans chaque regard de cette belle créature une douceur angélique, une lumière de bonté. Au repos, en mouvement, elle était également gracieuse. L’accent de sa voix, si communes que fussent ses paroles, lui donnait un plaisir qui montait presque jusqu’à l’angoisse. On ne peut pas appeler amour ce qu’un enfant de douze ans, presque un domestique, ressentait pour une dame de si haut rang, sa maîtresse; c’était de l’adoration. » Ce sentiment si noble et si pur se déploie par une suite d’actions dévouées, racontées avec une simplicité extrême; dans les moindres paroles, dans un tour de phrase, dans un entretien indifférent, on aperçoit un grand cœur, passionné de gratitude, ne se lassant jamais d’inventer des bienfaits ou des services, consolateur, ami, conseiller, défenseur de l’honneur de la famille et de la fortune des enfans. Deux fois Esmond s’est interposé entre lord Castlewood et le duelliste lord Mohun; il n’a point tenu à lui que l’épée du meurtrier ne trouvât sa poitrine. Quand lord Castlewood mourant lui révèle qu’il n’est point bâtard, que le titre et la fortune lui appartiennent, il brûle sans rien dire la confession qui pourrait le tirer de la pauvreté et de l’humiliation où il a langui si longtemps. Outragé par sa maîtresse, malade d’une blessure qu’il a reçue aux côtés de son maître, accusé d’ingratitude et de lâcheté, sa justification dans sa main, il persiste à se taire. « Quand le combat fut fini dans son âme, un rayon de pure joie la remplit, et avec des larmes de reconnaissance, il remercia Dieu du parti qu’il lui avait donné la force d’embrasser. » Plus tard, amoureux d’une autre femme, certain de ne pouvoir l’épouser si sa naissance reste tachée aux yeux du monde, acquitté envers sa bienfaitrice dont il a sauvé le fils, supplié par elle de reprendre le nom qui lui appartient, il sourit doucement, et lui répond de sa voix grave :


« La chose a été réglée, il y a douze ans, auprès du lit de mon cher lord. Les enfans n’en doivent rien savoir. Frank et ses héritiers porteront notre nom. Il est à lui légitimement; je n’ai pas même la preuve du mariage de mon père et de ma mère[1], quoique mon pauvre cher lord, à son lit de mort, m’ait dit que le père Holt en avait apporté une à Castlewood. Je n’ai pas voulu la chercher quand j’étais sur le continent. Je suis allé regarder le tombeau

  1. Il l’a.