Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

froids ; nous n’avons pas envie de retourner à l’école, nous fermons le livre, et nous le conseillons comme pilule à notre petit cousin ou à notre petit neveu. D’autres puérilités moins choquantes finissent par lasser autant. On n’aime pas le contraste prolongé du bon colonel Newcome et de ses mauvais parens. Ce colonel donne de l’argent et des gâteaux à tous les enfans, de l’argent et des cachemires à toutes les cousines, de l’argent et de bonnes paroles à tous les domestiques, et ces gens ne lui répondent que par de la froideur et des grossièretés. Il est clair dès la première page que l’auteur veut nous persuader d’être affables, et nous regimbons contre cette invitation trop claire ; nous n’aimons pas à être tancés dans un roman, nous sommes de mauvaise humeur contre cette invasion de pédagogie. Nous voulions aller au théâtre ; nous avons été trompés par l’affiche, et nous grondons tout bas d’être au sermon.

Consolons-nous : les personnages souffrent autant que nous-mêmes ; l’auteur les gâte en nous prêchant ; ils sont sacrifiés, comme nous, à la satire. Ce ne sont point des êtres qu’il anime, ce sont des marionnettes qu’il fait jouer[1]. Il ne combine leurs actions que pour leur donner du ridicule, de l’odieux ou des désappointemens. Au bout de quelques scènes, on connaît ce ressort, et dorénavant on prévoit sans cesse et sans erreur qu’il va partir. Cette prévision ôte au personnage une partie de sa vérité, et au lecteur une partie de son illusion. Les sottises parfaites, les mésaventures complètes, les méchancetés achevées sont choses rares. Les événemens et les sentimens de la vie réelle ne s’arrangent pas de manière à former des contrastes si calculés et des combinaisons si habiles. La nature n’invente point ces jeux de scène ; l’on s’aperçoit vite qu’on est devant une rampe, en face d’acteurs fardés, dont les paroles sont écrites, et dont les gestes sont notés.

Pour se représenter exactement cette altération de la vérité et de l’art, il faut comparer pied à pied deux caractères. Il y a un personnage que l’on reconnaît unanimement comme le chef-d’œuvre de Thackeray, Rebecca Sharp, intrigante et courtisane, mais femme supérieure et de bonnes façons. Comparons-le à un personnage semblable de Balzac, dans les Parens Pauvres, Valérie Marneffe. La différence des deux œuvres marquera la différence des deux littératures. Autant les Anglais l’emportent comme moralistes et satiriques, autant les Français l’emportent comme artistes et romanciers.

L’auteur des Parens Pauvres aime sa Valérie ; c’est pourquoi il l’explique et la grandit. Il ne travaille pas à la rendre odieuse, mais intelligible. Il lui donne une éducation de courtisane, un mari « dé-

  1. Ce sont ses propres paroles. (Préface de Vanity Fair.)